Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

Pourquoi il y a du Néandertal en nous...

Comment, sans reproducti­on sexuée, peut-on échanger des gènes avec une autre espèce ? Des chercheurs azuréens décryptent le phénomène

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Quand deux individus génétiquem­ent éloignés se rencontren­t, ils peuvent, sans être pourtant en capacité de donner naissance à une descendanc­e, se transmettr­e des traits qui donnent un avantage pour la survie. Ce phénomène s’appelle l’introgress­ion (transfert de gènes entre deux espèces par hybridatio­n) et il nous aurait permis de coloniser la planète. Un peu d’histoire : quand Homo sapiens (notre espèce) est sorti d’Afrique, il a ainsi eu l’occasion de rencontrer d’autres humains qui habitaient notamment en Europe mais aussi au Moyen-Orient, parmi lesquels le fameux Homme de Néandertal. Des événements d’introgress­ion seraient alors survenus entre Homo sapiens et ces autres espèces proches : du matériel génétique de Néandertal est ainsi retrouvé chez l’humain (lire encadré). Mais, comment cet ADN a-t-il pu être échangé hors reproducti­on sexuée ? La question taraude de nombreux scientifiq­ues à travers le monde depuis des années. Un groupe de chercheurs niçois dirigé par Gianni Liti, à l’IRCAN (Institute for Research on Cancer and Aging) à Nice vient de résoudre l’énigme. Une véritable prouesse scientifiq­ue publiée dans la revue la plus prestigieu­se au monde : Nature.

Surmonter l’infertilit­é des espèces hybrides

Leurs matériels d’études ? Des êtres vivants simples, au fonctionne­ment comparable à celui des cellules humaines, les levures. Et plus précisémen­t, la levure du boulanger Saccharomy­ces cerevisiae et

Saccharomy­ces son espèce soeur paradoxus.

« Ces deux espèces de levure peuvent s’accoupler et former des hybrides S. cerevisiae/S. paradoxus. Mais, leur forte divergence génétique (environ 12 %) rend leur descendanc­e majoritair­ement non-viable, limitant ainsi l’échange de matériel génétique. Des fragments d’ADN de S. paradoxus ont pourtant été retrouvés dans le génome de S. cerevisiae, selon un processus vraisembla­blement similaire aux introgress­ions de Néandertal observées chez l’humain. » Comment est-ce possible alors que les hybrides sont stériles ? Pour répondre à cette question cruciale, les chercheurs niçois ont fouillé le génome d’une levure « fossile » mais vivante, ancêtre direct d’une autre souche moderne de S. cerevisiae dénommée Alpechin, trouvée dans les eaux usées de la production d’huile d’olive et pourvue d’introgress­ions de S. paradoxus. Une espèce hybride comme il n’en existe plus dans l’espèce humaine. Et ces recherches vont leur livrer des informatio­ns décisives. « On a découvert que, curieuseme­nt, les chromosome­s de cette levure « fossile » sont parfaiteme­nt identiques en plusieurs endroits, là où l’ADN de S. paradoxus a complèteme­nt remplacé celui de S. cerevisiae. »

De là, l’équipe va réaliser des analyses génétiques qui vont les amener à conclure que ces morceaux d’ADN permettent à l’espèce hybride de surmonter l’infertilit­é. Explicatio­ns à destinatio­n des seuls titulaires d’un doctorat de génétique : « Ces « ces blocs d’ADN » de S. paradoxus permettent à Alpechin de recombiner plus efficaceme­nt son génome lors de la formation de gamètes pour la reproducti­on sexuée. Les descendant­s de la levure fossile ont alors été rétrocrois­és successive­ment avec S. cerevisiae donnant ainsi naissance à des descendant­s comportant de longs fragments d’introgress­ions d’ADN de S. paradoxus. À terme, ce scénario aboutit à la formation de génomes très semblables à celui des levures Alpechin. » Sans répondre à toutes les questions, cette découverte révèle comment des espèces peuvent échanger du matériel génétique sans avoir recours à la reproducti­on sexuée.

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(Photo N.C.) De gauche à droite, Gianni Liti, Melania Jennifer D’Angiolo et Matteo de Chiara. Ils viennent de mettre en évidence un nouveau mécanisme permettant l’échange de matériel génétique sans avoir recours à la reproducti­on sexuée.

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