Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

Bonnard, la fenêtre comme échappatoi­re au confinemen­t

Habitant au Cannet depuis 1926, le grand peintre coloriste observe son jardin depuis sa chambre, en 1946, à l’âge soixante-dix-huit ans.

- ANDRÉ PEYRÈGNE nous@nicematin.fr

La fenêtre. En ces périodes de confinemen­t, la fenêtre est le remède à l’enfermemen­t. Elle nous relie à l’extérieur. À travers elle, nos regards s’évadent. Combien de symboles lui sont attachés ! Celui de la liberté est certaineme­nt le plus fort. « Fermez les portes sur l’esprit, il s’échappera par la fenêtre », disait Shakespear­e.

La fenêtre que voici s’ouvre sur le jardin de Pierre Bonnard dans sa villa Le Bosquet au Cannet. À travers elle, le regard du peintre s’éblouit. Le tableau s’intitule simplement La Petite Fenêtre et est accroché en ce moment sur les cimaises du Musée Bonnard du Cannet.

Il y a certaineme­nt quelque chose d’affectueux dans cette appellatio­n de « petite fenêtre », qui n’est pas uniquement dû à sa dimension. On imagine le peintre, dans sa chambre, au soir de sa vie. Le tableau date de 1946, Bonnard mourra au tout début de l’année 1947. Il observe son jardin, son paradis. Le feu des couleurs incendie sa rétine. Il jubile. Le jardin est en désordre, il aime ce fouillis. Des jardins, il y en a eu des milliers dans l’histoire de la peinture : des grandioses, des pompeux, des solennels, des romantique­s, des secrets. Mais celuici est unique, c’est le sien, à nul autre pareil. Il a fleuri immanquabl­ement, saison après saison, pendant que dans le monde la guerre faisait rage. Car, à cette époque, la guerre venait de ravager le monde. On voit, sur les côtés, les rebords de la fenêtre. À droite, la poignée, sur la gauche, les reflets des rideaux dans les carreaux. On est dans l’intimité d’un cadre domestique.

Mais, à l’extérieur, c’est l’explosion des couleurs ! Les couleurs : le maître mot de l’art de Bonnard.

Si on commence à faire l’inventaire de celles qu’il a utilisées ici, on n’en finit pas. Elles tournoient dans les fleurs, les massifs, les arbres, le ciel et vont jusqu’à la maison du voisin, que l’on voit dans le fond.

Magie de la lumière

Véronique Serrano, conservatr­ice du Musée Bonnard au Cannet nous dit : «La matière, presque tactile, devient lumière grâce au scintillem­ent de la végétation, de la nature qu’il salue et qui lui offre chaque jour les émotions qui le guident. »

Vers le haut de la toile, on a l’impression que Bonnard a appliqué les couleurs non seulement avec son pinceau mais aussi avec son pouce. Pour un peu, on y trouverait des empreintes digitales. La police elle-même pourrait attribuer ce tableau à son auteur !

Comme partout chez Bonnard, il y a une absence de perspectiv­e. Et pourtant on ne se sent pas oppressé. On respire, il y a de l’espace. Magie de la lumière et des couleurs ! Pas de personnage, et cependant l’oeuvre déborde de vie. Pierre Bonnard disait : «Ilnes’agitpasde peindre la vie, mais de rendre vivante la peinture ».

Elle vit sa peinture ! Elle a la légèreté colorée d’un vol de papillons. Restons, comme le peintre, devant cette fenêtre. Observons la calmement. Elle est une échappatoi­re au confinemen­t…

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Une explosion des couleurs. Les couleurs : le maître mot de l’art de Bonnard !”

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 ??  ?? La Petite Fenêtre de Pierre Bonnard (1946). Musée Bonnard, le Cannet.
La Petite Fenêtre de Pierre Bonnard (1946). Musée Bonnard, le Cannet.

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