Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

Pas prête à tourner la page

Danielle Guérin ne quitte pratiqueme­nt jamais la Librairie Parisienne. Depuis 45 ans, elle passe son temps à assurer son bon fonctionne­ment, si bien que le lieu est devenu sa seconde maison

- Textes : Arthur DEUX saint-raphaël@nicematin.fr Photos : Philippe ARNASSAN

Personne ne lui échappe. Dès le pas de la porte franchi, elle vous attend, appuyée sur sa canne, et lance chaleureus­ement les mêmes mots « Bonjour, comment puis-je vous aider ? » Malgré ses 75 ans et son dos voûté, Danielle Guérin ne s’arrête jamais. Pas même une minute. À petits pas, elle se glisse au travers des montagnes de bouquins, qui remplissen­t les étals de la Librairie Parisienne. Elle lance, un sourire taquin sur son visage : « Je saurais vous trouver n’importe quel bouquin là-dedans. Impression­nant n’est-ce pas ? »

Comment est-ce possible ? « C’est là toute la difficulté du travail de libraire. On se doit de toujours pouvoir aider le client », répond-elle. Car dans sa famille, originaire d’Ardèche, le commerce est dans les veines. « Ma mère tenait une boutique de prêt-à-porter féminin. J’y passais beaucoup de temps. Alors, j’ai toujours été attirée par la vente », explique-t-elle. Travailleu­se appliquée et conscienci­euse, elle se dirige rapidement vers le monde de la banque, aux dépens des études. « J’y ai appris de nombreuses choses qui me servent encore. Le contact, la disponibil­ité, et la relation avec le client, notamment »

C’est là qu’elle y rencontre André Guérin, aujourd’hui décédé, avec qui elle se marie. C’est de lui que son intérêt pour la lecture naît. Fouillant dans ses souvenirs de jeunesse, la petite dame raconte : « Avant de le connaître, je ne lisais pas énormément. Elle ajoute, les yeux embués, c’est mon mari qui lisait tous les jours. Il était véritablem­ent passionné par la littératur­e. Et cette passion l’animait. »

En 1975, alors que sa belle-mère, installée à Sainte-Maxime, est souffrante, Danielle et son époux décident de se rapprocher d’elle et d’emménager à Saint-Raphaël. «Il n’y avait pas énormément d’emplois qui nous intéressai­ent tous les deux. Hormis la Librairie Parisienne, qui était à reprendre », se souvientel­le.

Le couple quitte donc l’Ardèche, et se lance un nouveau défi. Nostalgiqu­e de cette aventure, Danielle en raconte les prémices, le ton léger : « En théorie, tout aurait dû être difficile. Apprendre à faire fonctionne­r un établissem­ent était une nouveauté totale », dénote-t-elle. Pourtant, le commerce situé rue Charles Gounod, au coeur de la cité de l’Archange, depuis 1904, évolue rapidement. « Nous étions très impliqués à la bonne réussite de ce que nous avions entrepris. À cette époque, je ne comptais pas vraiment mes heures », indique-t-elle. Les époux s’affairent, jusqu’à minuit parfois, à commander et classer les différents ouvrages. La journée, il s’occupe de la comptabili­té, et elle, de satisfaire les demandes des clients.

Comme si c’était leur bébé, ils se donnent entièremen­t pour que la librairie grandisse et rayonne. Un enfant, Danielle en aura un, Patrick, qui a aujourd’hui récupéré les clés de l’établissem­ent.

« Mais nous n’avons eu que lui. Avec le temps que nous devions consacrer à la boutique, c’était dur d’allier vie profession­nelle et vie personnell­e. Un seul, c’est suffisant », s’amuse celle qui est également devenue grand-mère. Son fils se rappelle d’ailleurs d’une mère très occupée par le travail. « Elle y passait ses journées entières, en ne s’accordant que de toutes petites pauses. Je ne l’ai quasiment jamais vu prendre du temps pour elle », dévoile-t-il.

Mais le travail paye. La librairie devient rapidement incontourn­able, aussi bien pour les écoliers et les étudiants, que pour les particulie­rs, en quête de quoi bouquiner.

Une période que la libraire retraitée regrette. « Maintenant, on commande sur Internet, puis on vient rapidement récupérer son ouvrage. Il reste peu de personnes qui prennent le temps. Avant, les gens venaient pour acheter un livre, mais aussi pour partager un moment avec le vendeur. La philosophi­e a changé », se remémore-t-elle, avec une certaine amertume. Mais au sein des murs, emprunts de l’odeur du papier, Danielle se plaît. Elle n’a jamais rêvé d’une autre vie. « Pour rien au monde je n’aurais changé de métier. Même quand les temps étaient durs », assure-t-elle. Ce qui lui plaît le plus ? « Au-delà du contact avec la clientèle, j’aime le fait de devoir constammen­t évoluer. Il faut toujours être à la recherche de nouvelles idées, pour continuer à exister selon les époques », se justifie-t-elle. Ce qu’elle déteste ? « L’inventaire. C’est une vraie catastroph­e. Mais comme me dit mon comptable, il faut bien le faire ! »

Sa librairie, c’est toute sa vie. Une importance telle, qui explique l’émotion qui la touche lorsqu’elle parle de la situation actuelle. «La baisse d’intérêt vis-à-vis de la lecture, au fil du temps, se ressent fortement. Tout est différent. Aujourd’hui, on ne vend plus. On se bat simplement pour sortir du ghetto », murmure-t-elle. Mais la retraitée est fière. « Même si je le pouvais, je ne changerais rien à la façon dont j’ai travaillé ici. Le monde évolue, il faut juste l’accepter et se tourner vers le futur » lance-t-elle.

Car sa librairie, elle l’aime. Elle y a ri, aimé, mais aussi pleuré. Avant de se remettre à son inventaire, elle lâche un dernier conseil : «Ilne faut pas se concentrer sur ce qu’il y a derrière nous. C’est ce qui se trouve en face qui est important. »

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Pour rien au monde je n’aurais changé de métier”

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