Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)
La semaine de Claude Weill
Mardi
Au terme d’une procédure longue et tortueuse (sept ans !), la Cour de cassation a définitivement condamné le Syndicat de la Magistrature, en la personne de son ancienne présidente, pour « injure publique » dans l’affaire du « mur des cons ». L’épisode, jetant un doute sur l’impartialité qu’on est en droit d’attendre de son juge, avait écorné l’image du SM en particulier et de la magistrature en général. Cette condamnation n’a donc rien d’anecdotique. Sa portée symbolique importe plus ici que le montant de l’amende ( € avec sursis) : elle rappelle que nul n’est au-dessus de la loi, pas même ceux qui sont chargés de la faire respecter.
Mercredi
Selon Sciences et Avenir, la rotation de la terre a accéléré en . Le jour le plus court, le juillet, a duré , milliseconde de moins que les heures habituelles ! On se disait aussi...
Jeudi
Le patron de Twitter, Jack Dorsey, revient et s’explique sur la décision de bannir Donald Trump de son réseau. Décision qui a provoqué pas mal de polémiques et ouvert un débat juridico-politique majeur, car il touche à l’exercice de la liberté d’expression dans le far-west du Net : une entreprise privée peutelle s’arroger le droit de retirer la parole à celui qui, quoi qu’on en pense, est le président des ÉtatsUnis, soutenu par des dizaines de millions de personnes ? On n’examinera pas ici tous les arguments pour et contre. Tous sont réversibles. Si Trump, pourquoi pas Bolsonaro, Erdogan et autres ? Si maintenant, pourquoi pas plus tôt?
Si on invoque les règles auxquelles les utilisateurs ont souscrit, pourquoi sont-elles bafouées tous les jours par des millions de messages insultants, haineux ou mensongers restés impunis ; tandis que des publications inoffensives sont bloquées arbitrairement par un système bête et méchant. « Beaucoup d’intelligence artificielle, pas assez d’intelligence naturelle » (Dominique Reynié). La vérité, c’est que la politique de modération des GAFA() est aussi aveugle qu’inefficace ; les fake
news et autres théories complotistes ont trouvé sur la Toile un champ d’expansion illimité.
Portées par leur viralité explosive, dopées aux algorithmes, elles font partie du business model.
Les GAFA font plus que s’en accommoder : ils y trouvent leur compte. Aussi bien, prétendraient-ils imposer un « ministère de la vérité » qu’ils en seraient incapables. Le monstre a échappé à ses créateurs. Derrière la mise au ban de Trump – décision imposée par les circonstances autant que par l’intérêt bien compris de la maison Twitter, qui a beaucoup à se faire pardonner pour avoir été longtemps si complaisante avec le tweet-président aux millions de followers – il y a un constat d’échec et un vertige. Dorsey a le mérite de le reconnaître. Échec, écrit-il, à « promouvoir une conversation saine ». Vertige
devant le « dangereux précédent » que crée cette décision : «Lepouvoir donné à un individu ou une entreprise sur une part de la conversation globalisée. »
Le reste se perd en voeux pieux sur l’avènement d’un monde meilleur. Cela ne fait que souligner l’urgence que la politique prenne la main. Seul un cadre juridique international permettra de civiliser l’espace du Net. L’enjeu est immense. Il y va de l’avenir de la démocratie.
Vendredi
« Monsieur le président, à dixneuf ans, j’ai l’impression d’être morte. » Ainsi commence la lettre à Emmanuel Macron de Heïdi Soupault, ans, étudiante à SciencesPo Strasbourg. Confession au bord des larmes d’une jeune fille qui n’a plus ni espoir, ni perspective. « Plus de rêves. »
La vie comme un trou noir. Un tunnel sans lumière au bout. La Covid pour horizon. Heïdi, c’est la voix des jeunes qui vont mal. Des jeunes en mal de vie. Des décrocheurs, pour qui les études n’ont plus de sens. De ceux qui se sentent abandonnés.
Qui se laissent couler. Pensent au pire, parfois. Selon Santé publique France, près d’un tiers des ans souffrent de dépression. Dans la crise actuelle, il s’est produit une révolution anthropologique. Pour la première fois, face à une épidémie, les sociétés se sont mises à l’arrêt pour sauver les plus âgés et les plus fragiles. Formidable progrès de la civilisation.
Mais ce progrès à un revers.
À la sécurité des anciens, on a sacrifié ce qui fait l’existence des plus jeunes : les rencontres, les études, la fête, les petits jobs, les grands projets. On leur a volé un an de leur vie. Une génération naît sous nos yeux que les sociologues baptiseront « génération Covid ». Qui osera dire que c’était le plus bel âge ?
« Il va falloir encore tenir », a répondu Emmanuel Macron. Beaucoup tiendront. Et se remettront. La résilience de la jeunesse. Mais combien en garderont les séquelles ? Envers cette génération, nous avons une dette immense qu’il faudra acquitter le jour venu. Mais il est une chose que l’on peut faire sans attendre : se faire vacciner. Tous ceux qui le peuvent le doivent. S’ils ne le font pas pour euxmêmes, qu’ils le fassent pour leurs enfants et petits-enfants. Pour leur permettre de retrouver au plus vite une vie normale.
Samedi
Bientôt heures. Les Parisiens se hâtent sous la neige, tête dans les épaules, et passent sans la voir devant l’affiche collée à l’entrée du métro : « THÉÂTRE DE PARIS, GRANDE RÉOUVERTURE AVRIL . La Banqueroute, Carlo Goldoni ; Créanciers, August Strindberg ; Cent millions qui tombent, Georges Feydeau… » Signé « Marie S’infiltre », comédienne et humoriste. Humour de crise. Politesse du désespoir.
. Google, Apple, Facebook et Amazon.
« La vie comme un trou noir. Un tunnel sans lumière au bout. La Covid pour horizon. »