Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)
J.-F. Julliard : « On est plein d’espoir sur l’issue de l’Affaire du siècle »
Le directeur général de Greenpeace France estime qu’avec ce recours examiné jeudi, il y a de fortes chances pour que la faute de l’État pour inaction climatique soit reconnue ‘‘ On peut s’attendre à ce que la faute de l’État soit reconnue pour ne pas avoi
Attaquer l’État devant le tribunal administratif pour ne pas avoir lutté efficacement contre le dérèglement climatique est devenu « l’Affaire du siècle ». Si sa responsabilité est reconnue, « ce serait une victoire historique en France », s’enthousiasme, confiant, Jean-François Julliard, le directeur général de Greenpeace France, une des quatre associations requérantes. La décision, après l’audience de jeudi, sera rendue d’ici quinze jours.
En attendant, Greenpeace mène aussi le combat sur la Toile, en invitant les internautes à voter pour « les Boulets du climat ». Dans la catégorie des ministres, concourent Barbara Pompili, Bruno Le Maire, Emmanuelle Wargon, Jean-Baptiste Djebbari et Olivia Grégoire. Dans la catégorie des députés, sont en lice François de Rugy, Jacques Maire, Laurent Saint-Martin, Mohamed Laqhila et Pascal Canfin. Les votes sont ouverts jusqu’au 25 janvier (1).
L’« Affaire du siècle », c’est quoi ? C’est un recours juridique lancé en décembre par quatre associations - Greenpeace, Oxfam, la Fondation Nicolas Hulot et Notre affaire à tous – contre l’État français pour inaction climatique. C’est-à-dire que l’on a attaqué l’État devant le tribunal administratif de Paris afin que celui-ci reconnaisse que l’État ne fait pas assez d’efforts pour lutter efficacement contre le dérèglement climatique.
Qu’est-ce que l’État n’a pas fait par exemple ?
La France s’est engagée, dans la loi votée il y a deux ans, à réduire de %, d’ici , ses émissions de gaz à effet de serre, responsables du dérèglement climatique. Pour atteindre cela, il faut que la France réduise ses émissions de , % chaque année et de plus de % à partir de . Pour l’instant, on n’est même pas à moins de %. L’an dernier, on était à , % de baisse.
Dans quels autres domaines la France a-t-elle failli ?
La France devait atteindre % d’énergies renouvelables dans la production d’électricité en . En , on était encore à %. Là aussi, il y a du retard de la part de l’État français, et dans tous les domaines, c’est comme ça.
Qu’est-ce que l’audience du janvier a donné ? L’audience était très importante pour nous. En effet, la rapporteure publique, un juge indépendant, ne représentant ni l’État, ni les associations plaignantes, a fait des recommandations au tribunal, disant que oui, il y avait une faute de l’État, qu’il s’est engagé à mener des actions et qu’il ne l’a pas fait. En tout cas, pas de façon suffisamment forte. À ce titre, l’État a des responsabilités dans l’aggravation de la crise climatique. Donc, sa responsabilité est engagée.
Êtes-vous confiant ?
Oui, on est plein d’espoir sur l’issue de « l’Affaire du siècle », car généralement en droit administratif, le jugement s’appuie beaucoup sur les recommandations du rapporteur public. Donc, ce serait étonnant que la décision soit très différente. On peut s’attendre à ce que la faute de l’État soit reconnue pour ne pas avoir assez lutté contre le dérèglement climatique. Ce serait une victoire historique en France.
Elle vous a suivi dans toutes vos demandes ?
Elle n’a pas répondu à une seule demande qui était la nôtre : que le tribunal contraigne l’État à faire mieux.
Là, elle a demandé un sursis dans la décision. Elle a expliqué qu’il fallait attendre l’examen du projet de loi issu des travaux de la Convention citoyenne pour le climat pour voir si l’État intégrait des éléments importants dans ce projet de loi.
Mais la Convention citoyenne ne semble pas très écoutée... C’est un peu le problème. On ne connaît pas encore précisément le projet de loi, qui va être bientôt déposé en conseil des ministres, mais on a le sentiment que le gouvernement n’intègre pas suffisamment les mesures de la Convention citoyenne pour le climat ou alors il intègre certaines mesures, tout en les vidant de leur substance.
Avez-vous un exemple ?
L’avion a un impact important sur le climat. La Convention citoyenne a demandé la suppression de toutes les lignes aériennes, quand il y a une alternative en train, en moins de quatre heures. En fait, l’État est en train d’intégrer une mesure qui interdit les lignes aériennes, quand il y a des alternatives en moins de h . Cela touche beaucoup moins de lignes aériennes. Il ajoute que ces lignes pourront malgré tout continuer, si elles servent pour les correspondances avec des vols internationaux et si les acteurs de l’aérien s’engagent à une compensation carbone.
Si l’État est condamné, quelle suite attendez-vous ?
On attend du gouvernement qu’il reprenne un certain nombre d’éléments, que ce soit des lois qui ont déjà été adoptées, des directives, des réglementations, des normes pour les renforcer et pour faire mieux. Ça veut dire avoir des mesures plus ambitieuses dans les domaines qui sont les plus émetteurs de gaz à effet de serre ; ça veut dire rattraper son retard dans la rénovation des logements ; ça veut dire investir plus dans le transport ferroviaire et peu à peu faire moins de place à la voiture individuelle ou au transport de marchandises sur des poids lourds ; ça veut dire plus d’efforts dans l’adoption d’une alimentation qui repose plus sur du végétal et moins sur des animaux ; ça veut dire une fiscalité qui soit plus écologique et qu’on arrête d’aider, par des niches fiscales, les énergies fossiles. Car aujourd’hui en France, il y a encore beaucoup de niches fiscales qui soutiennent l’utilisation de kérosène pour les avions et du diesel pour le transport routier.
Greenpeace appelle les gens à voter sur Internet pour
« les Boulets du climat ». Y a-t-il une forte participation ?
On peut voter jusqu’au janvier. On a déjà plusieurs dizaines de milliers de votants. Le but est un peu en lien avec « l’Affaire du siècle ». On veut dénoncer le greenwashing du gouvernement
() en matière de lutte contre le dérèglement climatique. On veut démasquer ce qu’il y a derrière des propos qui apparaissent parfois comme clairement mensongers. Par exemple, quand M. Djebbari, ministre des Transports, dit qu’on peut verdir l’avion et que demain des avions à hydrogène ou électriques voleront et qu’il n’y aura plus de problème avec le climat.
Pour qui avez-vous voté ?
J’ai voté pour Bruno Le Maire parce que je pense que c’est celui qui agit de manière répétée contre l’environnement et contre le climat. C’est celui qui a beaucoup contribué à détricoter les mesures de la Convention citoyenne pour le climat. C’est lui qui fait passer les intérêts du Medef et des grands patrons avant l’intérêt général sur les questions climatiques.
‘‘ Dans « l’Affaire du siècle », plus de , millions de personnes ont soutenu, en ligne, ce recours.”
Greenpeace mène sur le web une campagne pour s’ouvrir au public. Pourquoi ?
De plus en plus de personnes s’engagent avec nous. Aujourd’hui Greenpeace France, c’est personnes qui nous soutiennent, nous accompagnent, qui permettent aussi le financement de Greenpeace, car il est % privé. On n’accepte pas la moindre subvention publique, que ce soit de l’État, de collectivités locales, de l’Union européenne.
Et on n’accepte pas non plus le moindre euro d’une entreprise. On pense que plus on est nombreux à s’engager sur les questions environnementales, plus notre voix est entendue. Dans « l’Affaire du siècle », plus de , millions de personnes ont soutenu, en ligne, ce recours. On est vraiment dans la participation à la construction d’un véritable mouvement pour le climat en France.
Que diriez-vous au Président Emmanuel Macron ?
Je lui dirais de mettre en accord ses discours et ses actes. Ou alors s’il ne veut pas le faire, qu’il arrête de faire croire qu’il a un engagement écologique, parce que ce n’est pas vrai.
Ce double discours est à la fois insupportable et ça se voit de plus en plus. (1) www.greenpeace.fr
(2) Le greenwashing, aussi nommé écoblanchiment ou verdissage, est un procédé de marketing ou de relations publiques utilisé dans le but de se donner une image de responsabilité écologique trompeuse.