Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)
« Le transfert vers le privé coûte moins cher à la sécu »
Actu Ils ont quitté le CHU de Nice pour créer un institut de chirurgie réparatrice à la clinique Saint-Antoine. Les Prs Boileau et Trojani analysent plus globalement la fuite des professeurs vers le privé
Leur départ du CHU de Nice s’est fait dans la discrétion. Ils sont pourtant quelque cinq chirurgiens orthopédistes à avoir quitté en novembre dernier l’hôpital Pasteur à Nice pour rejoindre le groupe Kantys, structure privée. Parmi ces chirurgiens, Pascal Boileau et Christophe Trojani, deux professeurs de médecine à la renommée internationale dans leur spécialité respective : la chirurgie de l’épaule pour l’un, celle du genou pour l’autre. On se souvient qu’en octobre 2018, ces deux spécialistes s’étaient exprimés dans nos colonnes pour dénoncer « un grave problème de gouvernance » au CHU de Nice, ce qui avait suscité une vive polémique au sein de l’établissement (lire nos éditions du 17 octobre 2018). Rencontre.
Votre départ du CHU s’inscrit dans un mouvement plus général de « fuite » de nombreux professeurs de médecine vers le secteur privé. Qu’est-ce qui explique ce grand mouvement ? Il est important au préalable de préciser que ce n’est pas dans la joie que l’on a quitté l’hôpital, après ans d’exercice pour l’un, pour l’autre dans le secteur public. C’est même un choix que l’on a fait à contrecoeur. Mais il s’est imposé lorsqu’il est devenu impossible de gérer quotidiennement la pénurie de matériels, de personnels… et donc de soigner correctement les patients. Comment fait-on lorsque chaque jour, on est confronté à % d’absentéisme des soignants ? Le mal-être des personnels hospitaliers est patent. Et aujourd’hui, les médecins aussi témoignent de ce même mal-être.
Ainsi, vous tournez le dos à l’hôpital public ?
Si nous y avons réalisé la quasitotalité de notre carrière, que nous n’avons jamais envisagé pendant toutes ces années de rejoindre le secteur libéral, c’est parce que nous croyons tous deux profondément au service public, qui permet d’accueillir tout le monde, sans conditions de ressources. Mais malheureusement, le rouleau compresseur bureaucratique ne peut plus être arrêté. Le système de santé est profondément malade.
Vous avez beaucoup pointé la responsabilité des nouvelles gouvernances.
Oui, dans la mesure où l’administration veut tout régenter.
Des chefs de pôles ont été nommés, qui n’ont eu d’autres choix que de délaisser l’enseignement et la recherche, pour faire de l’administratif et essayer de résoudre des problèmes insolubles, financiers en particulier.
Vous ne pouvez dénier la réalité du déficit financier chronique des hôpitaux. La gouvernance ne doit-elle pas aussi se préoccuper de ce fléau qui pèse sur tous les Français ?
Il faut cesser avec cet argument. Le déficit cumulé de tous les hôpitaux en France était d’un milliard d’euros en . À opposer aux dizaines de milliards d’euros injectés en un an pour faire face à la situation sanitaire liée à la Covid ! La crise à l’hôpital est vraiment grave. Quelque lits ont été fermés dans les hôpitaux au cours des dernières années : à Paris, hôpitaux ont été fermés depuis . Cet argument que la santé coûte très cher, conduit à transférer une partie des soins vers les groupes privés. Ça coûte ainsi moins cher à la Sécurité sociale… Et davantage au patient.
Moins cher ?
Il faut savoir que la prise en charge d’une même activité chirurgicale est à % plus coûteuse à l’hôpital qu’à la clinique. C’est notamment le cas de la chirurgie, que l’opération soit simple ou complexe. Un exemple : un séjour pour la pose d’une prothèse de hanche simple coûte euros à l’hôpital contre euros dans le privé.
Aujourd’hui, c’est donc dans le privé, au sein de l’ICR (Institut de chirurgie réparatrice locomoteur & sports) que vous avez créé, que vous exercez. Cela signifie-t-il que vous renoncez aussi à vos anciennes missions d’enseignement et de recherche ? Non, bien au contraire ! Un des freins au départ vers le privé a longtemps résidé dans l’impossibilité effectivement de réaliser de la recherche et de l’enseignement, sources indéniables d’amélioration des soins. Mais ce n’est plus vrai. Ainsi, la recherche clinique et l’enseignement font partie intégrante de la mission de l’ICR. Nous accueillons actuellement des internes, des médecins étrangers qui viennent se former, continuons l’enseignement à distance (lire par ailleurs)… L’Institut, localisé dans l’exclinique Saint-Antoine, a pour ambition d’être un centre chirurgical d’excellence, avec des professionnels, leaders dans leurs domaines de spécialité, à même de délivrer des soins de qualité dans un environnement biomédical moderne et sur un plateau technique récent.
L’ICR, un modèle des hôpitaux, mi-publics, mi-privés, de demain ?
Ce qui est certain, c’est qu’il y a un nouveau modèle à créer, associant l’efficacité du secteur privé à l’excellence de l’enseignement et de la recherche du secteur public.