Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)
Hervé Koubi boys can cry !
Formé notamment au Centre international de danse Rosella Hightower de Cannes, le danseur et chorégraphe Hervé Koubi, fait chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres en 2015, jouit d’une aura internationale. Sa compagnie sera associée au Théâtre de Grass
Je suis né à Cannes, je porte un prénom français très fièrement, à l’heure où des questions de communautarisme se posent. J’ai un nom arabe. J’ignorais jusqu’à mes vingt-cinq ans que ma famille était d’origine algérienne, je pensais que mes parents étaient Français. Cela m’a taraudé pendant tout mon parcours.
Ces questions de mémoire, d’identité, de filiation, avec en toile de fond l’histoire, celle du bassin méditerranéen, sont une source d’inspiration pour moi inépuisable. Cela a guidé toute ma carrière, particulièrement depuis 2009. »
Docteur en pharmacie
D’entrée de jeu, Hervé Koubi rappelle ses fondamentaux. Ceux d’un garçon prodigieusement doué et ouvert, à la fois tourné vers un certain pluriculturalisme, et qui a mené de front sa carrière de danseur chorégraphe et d’étudiant à la faculté d’Aix-Marseille pour devenir docteur en pharmacie et biologiste médical.
Côté danse, il se forme tout d’abord à la MJC Picaud de Cannes, dont l’un des professeurs a créé depuis sa propre école, L’espace 614 à Mouans-Sartoux, avant d’intégrer la très prestigieuse école de Rosella Hightower. «En tant qu’élève externe, précise-t-il. Je ne pouvais pas faire de scolarité danse études étant donné que je suivais une filière scientifique, un bac C, et il n’y avait pas d’horaires aménagés possibles dans ce cas-là. Si j’avais fait du foot, de la natation ou du volley-ball, j’aurais peut-être pu en bénéficier, mais pas pour la danse. J’ai même fait une pièce sur ces questions de pratique sportive et artistique quand on est un garçon. Quant à mes parents, même s’ils m’aimaient assez pour me laisser libre de faire ce que je voulais, ils étaient très inquiets. C’est pour cela que j’ai suivi ces longues études universitaires qu’ils auraient tant aimé faire. »
C’est ainsi qu’Hervé Koubi décroche un diplôme de docteur en pharmacie, en 2000 et monte sa propre compagnie, entre Cannes... et Brive-la-Gaillarde !
« C’est vraiment l’une de nos particularités : nous sommes une compagnie à cheval, à la fois associée au Théâtre de Grasse, mais aussi au Théâtre de l’Olivier-Scènes et cinés à Istres. Nous sommes toujours plus ou moins en collaboration avec l’école Rosella Hightower à Mougins, et avons un projet à long terme avec la ville de Calais. Et sommes également en partenariat avec celle d’Arcachon. »
Mais dans le Sud, c’est ce lien renforcé avec le Théâtre de Grasse qu’Hervé Koubi tient à mettre à l’honneur : « Je suis très heureux de collaborer avec Jean Florès, qui en est le directeur, qui connaît mon travail depuis longtemps et le soutient. Il y a une volonté dans le cadre de la mission du théâtre de Grasse et des environs de faire un projet d’art et de territoire, et c’est dans ce cadre-là que nous allons intervenir. »
Question de genres
Une vingtaine de danseurs gravite en moyenne au sein de la compagnie Hervé Koubi, régulièrement pressentie pour se produire à l’étranger également, à raison de cinquante ou soixante dates par an, de New York à Berlin en passant par Rome, Madrid et le Bolchoï. Une majorité d’hommes la compose, seules cinq femmes font partie de la troupe. Et si la pièce qui sera montée lors de cette saison, Boys don’t cry, explore la question des genres, ce parti-pris ne doit rien au hasard non plus. « C’est presque de l’auto-analyse. Je crois que je mets en majorité en scène des danseurs hommes en ayant ce souhait de faire vivre à mes anciens camarades de collège et de lycée ce que j’aurais aimé qu’on nous raconte alors... Une forme d’hymne à la différence. Je n’ai pas été traumatisé par ce que j’ai vécu, mais suffisamment marqué pour avoir envie de l’exprimer de cette manière-là. En reprenant le titre de cette chanson du très androgyne groupe The Cure, extraite d’un film éponyme. »
Si la plupart des compagnies, ditil, recrutent leurs danseurs par connaissances interposées, par amitiés artistiques ou amitiés tout court, rien de tel dans celle d’Hervé Koubi. Seules les aptitudes techniques, ainsi que celle à travailler et vivre ensemble sont prises en compte. « Mes danseurs viennent de toute la Méditerranée, appartiennent à toutes les nationalités et à toutes les religions. J’ai des Algériens, des Français, des Israéliens, des Palestiniens, des Marocains, des Italiens. La danse permet cela ! Des choses qui paraissent impossibles sur le papier deviennent réalité. Malheureusement ce n’est pas toujours bien accueilli, surtout en France. C’est justement pour cela que les combats que ce soit contre le racisme, sur l’égalité homme femmes sont utiles, je le crois. »
Et d’ajouter très vite ce bémol : Mais il faut faire attention à la manière dont nous les menons, de ne pas rentrer dans des autoroutes qui pourraient presque être fascisantes et desservir même la cause pour laquelle on est en train de se bagarrer. »
Se battre, par le prisme de la danse, de la manière magistrale du créateur des Nuits Barbares, contre toutes les injonctions. Des injonctions a priori bienveillantes, comme celle faite aux petits garçons de ne pas pleurer, mais qui peuvent s’avérer d’une violence inouïe. Éduquer, toujours et encore, et transcender, sublimer ses souffrances par l’art, tels sont les crédos de ce créateur de beauté qu’est Hervé Koubi. À nous faire briller les yeux d’émotion, voire perler une larme au coin des mirettes. Que l’on soit fille ou garçon, voire un peu des deux...
‘‘ Je n’ai pu faire danse-études en préparant un bac C ”
‘‘ Faire vivre et travailler ensemble toutes les nationalités et religions »
Des représentations de Boys don’t cry (texte de Chantal Thomas) sont prévues les mardi 13 avril et mercredi 14 avril 2021 à 20 heures au théâtre de Grasse, 2 avenue Maximin Isnard.
Tarifs : de 6 à 28 euros.
Rens. 04.93.40.53.00. www.theatredegrasse.com