Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

« J’ai vu le port de Toulon entrer dans le XXIe siècle »

Commandant du port de Toulon pendant 14 ans, Thierry Hervé quitte ses fonctions pour voguer sous d’autres cieux. Rencontre avec un amoureux de la rade et son livre de souvenirs. Bio express

- PROPOS RECUEILLIS PAR MATHIEU DALAINE mdalaine@nicematin.fr

Après quatorze ans de bons et loyaux services, et bien décidé malgré tout à repousser encore un peu l’âge de la retraite, le commandant Thierry Hervé quitte la capitainer­ie du port de Toulon. « Si enthousias­mantes que furent ces années, j’avais fait le tour », commente-t-il sobrement. Un tour qu’il se propose de refaire avec nous.

Comment résumeriez­vous vos années en tant que commandant du port de Toulon ?

Ça m’a passionné ! J’arrivais du port autonome de Marseille, premier port français, où j’étais capitaine. Et là je découvre Toulon… où c’était tristounet.

Il faut voir qu’en , le port vivotait. Il y avait les ferries et quelques paquebots mais ça n’allait pas beaucoup plus loin. J’ai commencé par faire enlever les poubelles et chasser les rats du môle d’armement…

En quatorze ans, vous avez constaté une grande évolution ?

Énorme ! Le développem­ent du segment de la croisière a été considérab­le, jusqu’à atteindre

 escales par an.

La rade est aussi devenue un endroit accueillan­t pour le yachting.

C’est un milieu très fermé et la dynamique s’est vraiment enclenchée après quelques escales qui se sont bien passées.

En tant que commandant du port, vous avez contribué à tout ça ?

Bien sûr. Un commandant c’est une sorte de chef d’orchestre pour les mouvements portuaires et les places à quai.

Mais on écoutait aussi ma voix pour les projets de développem­ent. Il m’arrivait aussi de « vendre » le port de Toulon aux armateurs et commandant­s de navires. Les marins préfèrent parler aux marins.

Revenons à la rade. En quoi avez-vous également vu le port changer ?

Des investisse­ments ont été réalisés par la Chambre de commerce et la Métropole pour l’accueil des croisiéris­tes, pour la sûreté, la rénovation des ports de plaisance, pour développer le fret… Il y a eu une saine émulation. Et le trafic a quasiment triplé entre  et . Aujourd’hui, Toulon, c’est deux millions de passagers par an ! Sans oublier les perspectiv­es d’aménagemen­t des friches industriel­les. Tout ça, c’est le fruit de l’évolution des mentalités.

En quoi les mentalités ontelles évolué ? Longtemps, le port de Toulon était seulement considéré comme un port militaire. Il y avait un manque criant de culture maritime. Puis petit à petit, élus et décideurs se sont rendu compte qu’un port, c’est une manne : de l’image, des retombées, de l’emploi, de l’innovation… N’oublions pas que des entreprise­s de pointe – Orange Marine, CNIM, Ifremer… – y ont élu domicile. Je l’ai vu entrer dans le XXIe siècle.

La présence de la Marine est-elle gênante ?

Les mouvements des bâtiments militaires rendent l’exercice de commandant de port complexe. Tout est minuté. Il ne faut pas qu’un paquebot arrive quand le porte-avions part. Mais nous avons toujours eu de bons contacts. La Défense, ce sont des gens très compétents, des moyens portuaires ou de sécurité qui étaient parfois mis à notre dispositio­n, une assurance tout risque pour les armateurs… Au final, ce n’est pas un handicap, mais un atout.

Quels sont vos souvenirs les plus marquants de vos années toulonnais­es ?

Il y a la Tall Ships’ Race en . Le plan d’amarrage de tous ces vieux gréements était un cassetête, mais quel spectacle ! Ça méritait l’année de préparatio­n en amont.

D’autres navires vous ont marqué ?

Les géants des mers, déjà. Je crois que « mon » record, c’est un paquebot de  mètres ! Mais je me souviens surtout d’un yacht superbe, The World .À bord, pas de passagers,

Avant l’odeur, il y a le bruit : je pense à celui des cigales l’été, quand je suis à bord de mon petit voilier. S’ajoute à cela, toujours depuis la mer, l’odeur de la terre chaude en fin de journée. C’est unique.

■ que des richissime­s propriétai­res qui se greffent à leur convenance à cette croisière perpétuell­e autour du globe. Et tout ce luxe… Imaginez, il y avait un billard à l’intérieur !

Un billard ? Et donc ?

Ce n’est pas franchemen­t courant en mer : l’intérêt du billard, c’est que le tapis vert soit parfaiteme­nt horizontal. Eh bien figurezvou­s que là, il était monté sur vérins, avec capteur et servo-moteur pour compenser les mouvements du bateau !

On imagine aussi que vous avez des souvenirs moins plaisants…

En , les militaires m’ont apporté une carcasse d’un cachalot de  tonnes. Plutôt que de pétarder l’animal au Cap Sicié, où il

Même si le changement est déjà amorcé, j’aimerais qu’il y ait un tropisme maritime encore plus fort. Il n’y a pas encore l’esprit marin qu’on rencontre en Bretagne.

■ 1961 : naissance à Paris dans une famille… de marins bretons.

■ 1980 : entrée à l’école nationale de la marine marchande.

■ 2007 : devient commandant du port de Toulon.

s’était échoué, ils n’ont rien trouvé de mieux que de me le déposer dans le port de commerce… De Brégaillon, il a fallu le charger dans un camion direction une usine d‘équarrissa­ge située… à Châteaurou­x !

Vous en avez d’autres, des histoires improbable­s ?

Il y a bien ce bateau

« pirate » : le Reaper, abandonné dans la rade par un producteur faute d’argent pour tourner son film. Un Anglais, comme par hasard (rires). Mécontents de n’être plus payés, ses employés avaient fini par saborder le navire. Avec les marins pompiers, on est monté à bord et on a bien failli couler. Au final, on a mis en route les pompes et étanché la voie. On a réussi à éviter de justesse une pollution majeure, puisqu’il y avait  tonnes de fuel à bord. Je crois d’ailleurs que, l’épave traîne toujours du côté de Brégaillon…

■ Qu’est-ce qui vous met de bonne humeur ?

En tant que commandant de port, j’ai aimé réussir des coups, convaincre les compagnies de venir, par exemple.

■… et de mauvaise humeur ?

La bêtise et la malhonnête­té.

‘‘

Je me souviens d’un yacht superbe,

Ça reste entre nous

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