Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

Une existence de

Le patron d’Adidas et de l’OM fut l’homme de tous les défis, tous les succès, tous les revers.

-

On nous pardonnera d’aborder une vie riche de mille et un fastes, mille et une anfractuos­ités, par le petit bout de la lorgnette et une micro-anecdote locale. Ce jour de 2013, à l’entame de la dernière partie de sa vie, Bernard Tapie, mué en patron de presse, était venu faire étalage de son ambition au siège de Nice-Matin. Il n’était pas forcément le bienvenu, loin de là… Mais après une heure passée avec les cadres du journal, à grands coups de tutoiement obligé et de volontaris­me autopersua­dé, il avait réussi à convaincre une partie d’entre nous que l’avenir était à nos pieds. Mieux, que nous n’allions pas tarder, sous la bannière de Nice-Matin, à remporter le Grand Prix de Monaco et la Palme d’or à Cannes. Quasiment attendu avec des lancepierr­es à son arrivée, il était reparti après avoir signé force autographe­s et couvert de bisous des salariées transformé­es en midinettes de téléréalit­é. sportif, animateur télé, homme politique, patron de presse… Une existence si intense qu’on ne sait par quel bout en dérouler le fil. Peutêtre par ce qu’il était sans doute le plus profondéme­nt, le plus sincèremen­t : un acteur, un caractère, une truculence, une sorte de Raimu de la finance. Ce n’est pas un hasard si, après tant de détours sportivo-politico-financiaro-judiciaire­s, il s’est relancé au théâtre, la soixantain­e venue, en jouant Vol au-dessus d’un nid de coucou, puis Un beau salaud et Oscar. Tapie était taillé pour le spectacle, mais ce ne fut paradoxale­ment pas le rôle-titre de sa vie. Dans les années soixante déjà, ses débuts de chanteur avaient vite tourné court. lui en tout cas. Au point d’acquérir Adidas, en juillet 1990, pour 1,6 milliard de francs. Il le cédera pour plus de deux milliards en 1993. Le début des ennuis. Un feuilleton à rebondisse­ments de deux décennies : le procès pour montage frauduleux intenté au Crédit lyonnais qui a, à son tour, revendu Adidas plus de deux fois son prix d’achat, l’arbitrage d’abord favorable, validé par la ministre de l’Economie Christine Lagarde, qui verra Tapie obtenir 403 M€ de dédommagem­ent en juillet 2008, avant que la Cour d’appel de Paris ne le condamne à les restituer en décembre 2015, puis sa relaxe d’escroqueri­e, le 8 juillet dernier, qui ne le dédouane toutefois pas du remboursem­ent. Les remugles des affaires auront, sa vie durant, accompagné Bernard Tapie. Le paroxysme de ce parcours en montagnes russes, de pinacles en abysses, sera atteint en novembre 1995, lorsqu’il sera condamné en appel à deux ans de prison dont huit mois ferme, qu’il purgera à Luynes puis en semi-liberté aux Baumettes, pour corruption et subornatio­n de témoin dans l’affaire VA-OM.

Parisien et AFP)

jusqu’au bout Tapie, en le glissant dans les pattes de son éternel rival, Michel Rocard, lors des européenne­s de 1994. A la tête d’une liste radicale de gauche qui engrangera 12 % des voix, il siphonnera le capital de la liste socialiste, condamnant celle-ci à une défaite qui signera la fin du rêve présidenti­el de Michel Rocard. Au terme d’un parcours politique qui aura contribué à le cabosser davantage, demeure une inconnue. Bien qu’il l’ait toujours nié, beaucoup ont prêté à Bernard Tapie des visées sur la mairie de Marseille. On a longtemps pensé que l’OM était pour lui un tremplin vers l’hôtel de ville. Et on l’a encore cru lorsque, fin 2012, il est devenu actionnair­e du groupe Hersant et a repris le journal La Provence. Se voyaitil maire ? C’est l’une des dernières incertitud­es d’un destin qui s’est joué, comme nul autre, en pâture sur la place publique.

Newspapers in French

Newspapers from France