Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)
« Il y a beaucoup de similarités avec le mouvement des ‘‘gilets jaunes’’ »
Les « convois de la liberté » restent atomisés et non hiérarchisés, relève l’analyste Laurence Bindner, co-fondatrice de JOS Project, plateforme d’analyse de la propagande extrémiste en ligne.
Quelles mouvances s’agrègent derrière ce mouvement ?
Au départ, il s’agit d’une mobilisation sur la thématique du refus des mesures sanitaires, perçues par une frange de la population comme coercitives voire liberticides : pass vaccinal, restrictions types confinement, couvre-feu, etc. À cette contestation initiale se sont greffés d’autres mécontentements, en particulier au niveau socio-économique mais pas uniquement. On note pêle-mêle des revendications anticapitalistes, pour la biodiversité, hostiles aux grands médias, aux banques, aux grosses plateformes de e-commerce... Cela devient une sorte d’alliage anti gouvernemental, antisystème, qui caractérise également le mouvement canadien. La mouvance QAnon le soutient, ainsi que la sphère conspirationniste. Des liens sont également partagés dans des sphères plus extrémistes, notamment à droite.
Peut-on parler d’alliances entre ces mouvements ?
Bien qu’il existe des superpositions entre ces mouvances et une porosité entre ces écosystèmes, le mouvement est un alliage plutôt qu’une alliance. Sans leader ni porteparole consensuel malgré l’émergence de personnalitéspilotes qui donnent le ton, le mouvement est atomisé, non hiérarchisé et se structure pour l’instant essentiellement autour d’actions à venir. Des personnalités politiques ont également tenté de soutenir le mouvement, que ce soit pour des raisons de fond ou opportunistes. À quelques semaines de la présidentielle, les extrêmes calculent qu’ils ont intérêt à se greffer et tirer leur épingle du jeu de ce qui se veut un grand événement contestataire.
Faut-il voir dans ce mouvement un prolongement du mouvement des « gilets jaunes » ? Est-ce que la contestation pourrait se durcir ? Il y a beaucoup de similarités avec le mouvement des « gilets jaunes ». À l’origine, ce dernier réclamait une baisse des prix du carburant. Et à cette revendication originelle se sont greffées d’autres contestations pour fédérer un large agrégat de griefs antisystème, bien au-delà de l’intention première. Ici néanmoins, nous sommes moins dans une naissance spontanée que dans une duplication coordonnée de l’action canadienne. Pour autant, il y a clairement une superposition avec le mouvement des « gilets jaunes ». Des administrateurs de groupes liés au convoi s’affichent comme tels. On décèle également des groupes d’entraide localisés, qui s’articulent sur les réseaux sociaux et rappellent la structuration des « gilets jaunes ».
En revanche, il est difficile de se prononcer sur le durcissement du mouvement. Dans un avenir proche, on peut s’attendre à la présence d’éléments extrêmes malgré un mot d’ordre pacifique. Dans un moyen terme, si les mesures sanitaires se relâchent, le mouvement pourrait s’avérer suffisamment malléable pour muter et engendrer d’autres « variants » du mécontentement. Et on ne doit pas perdre de vue la question de l’instrumentalisation ou de l’amplification du mouvement par un acteur étranger, qui trouverait un intérêt à perturber de manière plus ou moins ponctuelle les démocraties occidentales.