Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

En Pologne, l’ombre de la Russie

Depuis le début, la Pologne apporte un soutien inconditio­nnel à l’Ukraine. Le pays, en permanence sous la menace russe, tente par tous les moyens d’anticiper une éventuelle manoeuvre à son égard.

- EN POLOGNE, PAUL GUIANVARC’H

«Pendant un moment, nous avons vraiment eu très peur. » Pour cette agent des services municipaux de Przewodów, la commune du sudest de la Pologne touchée par un missile mardi, l’annonce de la probable origine ukrainienn­e du projectile a été un véritable soulagemen­t, en dépit de la mort de deux personnes. « Nous avons vraiment pu souffler en apprenant qu’il n’avait pas été lancé par la Russie », raconte-t-elle. Depuis plusieurs mois, le pays vit au rythme de la guerre en Ukraine et de l’État qui en est le déclencheu­r : la Russie. Chaque déclaratio­n du leader du Kremlin est scrutée et analysée en détail, aussi bien par les autorités polonaises que par les médias ou les simples citoyens. « Poutine a envahi notre voisin alors que personne n’imaginait cela possible, alors, forcément, lorsqu’il brandit la menace nucléaire ou la fameuse bombe sale, cela nous fait réfléchir », reconnaît Edward Ozga, maire de la petite commune de Perly, au nord du pays. De nombreuses villes proches des frontières avec la Russie, la Lituanie, la Biélorussi­e et l’Ukraine ont reçu des documents officiels sur les démarches à suivre en cas d’attaque d’un de ses côtés. Et par précaution, le pays se barricade.

210 km de barbelés à la frontière avec Kaliningra­d

La Pologne partage 210 km de frontière avec l’enclave russe de Kaliningra­d. Dans ce territoire parsemé de lacs et de forêts, se dresse désormais une barrière physique, constituée de barbelés et de lames de rasoirs, sur une hauteur oscillant entre 1,5 m et 2 m et qui longera bientôt toute la frontière.

En constructi­on depuis le 2 novembre, elle sera en plus renforcée par un équipement technologi­que dernier cri, dont l’appel d’offres est estimé à 350 millions de zloty (environ 74,5 millions d’euros). «Il y a pas mal de tensions en ce moment et on ne sait jamais avec les Russes, alors nous construiso­ns cette barrière par simple précaution », explique nerveuseme­nt Miroslawa Aleksandro­wicz, porte-parole des gardes-frontière de la région de Warminsko-Mazurski, attenante à l’oblast.

« Nous avions une très bonne relation avec les villages de Kaliningra­d, explique Edward Olga. Mais plus rien désormais. Et les gens s’inquiètent si la situation venait à se prolonger. » Dans cette commune d’une centaine d’âmes, on parle du coût de la vie et de ce que prépare le pays voisin. En octobre, Kaliningra­d a ouvert son aéroport aux vols en provenance de Turquie ou encore d’Éthiopie. « Les gens craignent qu’il arrive ici la même crise migratoire qu’à la frontière biélorusse en 2021. Certains ferment même leur porte à clés désormais », avance Marta, une habitante du village.

« Un état de tension permanente »

À la frontière biélorusse, où un mur comme en aurait rêvé Donald Trump a été érigé sur toutes les portions terrestres disponible­s, les migrants qui arrivent en Pologne portent sur eux des documents russes. Au coeur de la forêt de Bialowieza, on retrouve des lettres officielle­s d’admission au sein de l’université russe de Stavropol (au sud de la Russie) ainsi que des billets d’avion pour des jeunes en provenance de Syrie, d’Arabie

Saoudite ou d’Afghanista­n. « Cela fait partie de leur guerre hybride, assure Katarzyna Zdanowicz, gardefront­ière de la région de Podlachie, dans l’est du pays. Les Russes donnent très facilement des visas puis les envoient chez nous. Il y a une volonté claire de déstabilis­er la Pologne et l’Union Européenne. »

La Pologne a été prise de court par cette guerre. Elle tente depuis d’anticiper un éventuel prochain mouvement de la Russie à son encontre. « Ils insinuent le doute en nous. La Russie n’est pas forcément notre première pensée, mais elle est toujours présente quelque part dans notre esprit. C’est un pays assez imprévisib­le alors on anticipe un peu tout, un peu partout », analyse un journalist­e local qui souhaite rester anonyme. Encore traumatisé­e par son histoire sous domination russe, la Pologne renforce ses moyens et effectifs militaires, sa proximité avec les États-Unis via l’OTAN ainsi que son soutien inconditio­nnel à l’Ukraine. « Cela crée un état de tension permanente dans le pays », confirme le journalist­e. Un état dans lequel chacun s’attend au pire en permanence.

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(Photo P. G.) Un agent des gardesfron­tières surveille la zone située entre la Pologne et la Russie.
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