Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

La trouille, les « armuriers » albanais et la cocaïne

Sordide déballage devant les parties civiles, hier au procès de l’attentat du 14-Juillet. Derrière un camion jeté dans la foule, on découvre un monde interlope fait de drogue et de vente d’armes.

- GRÉGORY LECLERC gleclerc@nicematin.fr

J «e suis là, j’ai pas peur. Je dis la vérité. » Pourquoi, quand Artan Henaj, Albanais de 44 ans, l’un des huit accusés au procès de l’attentat du 14-Juillet, déclare qu’il n’a pas peur, entendon l’inverse ?

Peut-être parce que de ce procès suinte la trouille. Celle d’être associé à un terroriste. Celle de passer sa vie en prison. Ou peut-être celle, aussi, des représaill­es. Car derrière un camion jeté dans la foule, un soir de fête nationale à Nice, transparai­ssent de sombres histoires de drogue, de trafic d’armes. Ceux qui s’y adonnaient ne sont pas des demi-sel. Hier, la cour d’assises spéciale a commencé à s’intéresser au clan des « armuriers » albanais. Un réseau interlope niçois qui pouvait visiblemen­t vous dégoter une arme comme on commande des chips au drive.

Six ans de prison

Depuis hier, l’un d’eux, Artan Henaj, comparaît. Une grande carcasse dans un sweat-shirt ample, de couleur sable. Un front symétrique­ment dégarni, des mains comme des battoirs. Un semi-grossiste en cocaïne, trois enfants, en situation irrégulièr­e sur le territoire français.

S’il comparaît détenu c’est que, alors qu’il était en semi-liberté en attente de ce procès, il s’est fait toper avec 1,6 kg d’héroïne, 427 g de cocaïne et 15 000 euros chez lui. Bilan : 6 ans de prison par le tribunal de Montluçon. Ça ne vous place guère en situation favorable pour aborder un tel procès où, certes, il n’est poursuivi « que » pour trafic d’armes. Mais sur fond d’attaque terroriste.

Au fil de la journée, Henaj, pressé de questions, s’est délité. Le gaillard est apparu de plus en plus nerveux, dessinant des lignes imaginaire­s sur le rebord du box, triturant ses doigts.

À plusieurs reprises pendant l’enquête – en audition et devant le juge d’instructio­n –, Henaj a déclaré que Ramzi Arefa lui avait dès le début commandé « des armes », voire « deux armes » pour « lui et son copain ». Par copain, entendez le terroriste, Lahouaiej Bouhlel.

Commande groupée ?

Puis Artan Henaj a brutalemen­t changé de version. Selon lui, Ramzi Arefa a bien commandé un pistolet automatiqu­e. Mais pour lui-même, pour assurer sa propre défense.

La Kalach’ ? C’est lui, Artan Henaj, qui l’aurait spontanéme­nt proposée. Exit la version de la commande groupée pour un terroriste. Dit-il désormais la vérité ? Ou continuer à incriminer Ramzi Arefa était-il devenu trop dangereux ? Henaj a-t-il peur ? L’avocate générale l’a remarqué... « Cela vous gêne d’être dans le box avec Arefa ? », interroge-t-elle, l’air de rien. « Pas du tout, je n’ai pas peur de lui. »

Si Ramzi Arefa avait bien commandé dès le début « des armes », cela pourrait vouloir dire qu’un plan était établi avec Mohamed Lahouaiej Bouhlel. Pour l’attaque du 14 juillet et, peut-être, une autre, le 15 août.

Le président note que Ramzi Arefa et Artan Henaj se sont beaucoup téléphoné en amont de la livraison d’armes. Comme s’ils négociaien­t. Ramzi Arefa, lui, avait démenti en début de semaine la commande groupée. Il dit s’être vu remettre la Kalach’ au domicile d’Henaj, quasiment à l’insu de son plein gré. Déterrée d’une colline de Falicon, l’arme de guerre lui aurait été placée dans les bras le 13 juillet, sans contrepart­ie d’argent. Surprenant dans un milieu où la défiance règne.

En observant ces audiences, où le mensonge le dispute à la trahison, on ne peut qu’éprouver encore plus de compassion pour des parties civiles condamnées à écouter un triste et sordide déballage.

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