Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

Bébé secoué : le fléau de La violence à huis clos

Ce drame intrafamil­ial a fait plus de cent victimes depuis le début de l’année. Les acteurs appellent à des efforts de prévention autour des pleurs des nourrisson­s. Au milieu des robes noires, des blouses blanches

- MARGOT DASQUE VINCENT WATTECAMPS

A «près ce que lui a fait la nourrice, il est devenu malvoyant. » « Il est si dur de ne pas savoir qui a fait du mal à notre bébé. » « Je ne sais pas ce qui m’est passé par la tête… » Ces témoignage­s émanent de parents, anonymes, qui se confient sur la toile. Ce qu’ils partagent ? L’horreur du bébé secoué.

Déjà 116 cas en 2024

Les statistiqu­es parlent de 500 victimes par an. On en dénombre déjà 116 depuis le début de l’année. Un chiffre glaçant qui serait sous-estimé selon Maryline Koné, cofondatri­ce de Stop bébé secoué : « Dans le système de codificati­on hospitaliè­re, il n’existe pas de code spécifique. Il n’y a pas de recensemen­t du nombre de cas et nous savons qu’une partie passe sous les radars. Nous demandons que ces données existent afin d’avoir une vision de la situation et de son évolution. »

Le besoin d’un observatoi­re

La nécessité de données actualisée­s, de recherches, est criante. « On constate que 70 % des auteurs sont les pères, 20 % des assistante­s maternelle­s et 10 % des mères dont le profil est particulie­r », indique Aude Lafitte, fondatrice de l’associatio­n Avi (Action contre les violences infantiles) qui appelle de ses voeux la création d’un observatoi­re dédié.

Le sujet, extrêmemen­t délicat, a fait l’objet d’une journée de réflexion, ce lundi, à Nice. « Des progrès ont été réalisés, mais je reste inquiet », confie Adrien Taquet, ex-secrétaire en charge de l’Enfance et des Familles au micro du Centre universita­ire méditerran­éen.

Cercles de parole

Des mesures et recommanda­tions existent, certes. Mais cela reste insuffisan­t. Face au fléau, l’accessibil­ité à l’informatio­n reste un enjeu crucial. « D’autant plus dans notre société où l’image d’une parentalit­é parfaite est diffusée sur les réseaux sociaux », rappelle la référente de l’associatio­n Stop Bébé Secoué fondée en 2019 : « Par manque de temps, parfois par tabou, les profession­nels n’abordent pas toujours les risques avec les futurs parents. » Alors qu’il faudrait que la personne enceinte et sa moitié puissent bénéficier de la même approche, de la même sensibilis­ation : « Le suivi post-natal ne concerne que la femme qui a accouché, alors que selon les foyers ce sont bel et bien deux adultes qui s’occupent de l’enfant. »

C’est là tout l’enjeu des cercles de parole portée par l’infirmière puéricultr­ice Élodie Emo, cofondatri­ce d’un collectif rassemblan­t ses homologues : « Ce cadre permet d’évoquer les difficulté­s, les questionne­ments et de faire passer des messages. »

Une violence en récidive

Ouvrir le débat, c’est parler de la « nécessité de la mise en place d’une vraie politique gouverneme­ntale » . Cité en exemple par Maryline Koné, le Canada s’est « saisi du syndrome avec un plan de prévention » généralisé : « Il faut qu’il en soit de même en France, aussi bien dans les établissem­ents publics que privés. » Et il y a urgence selon la référente : «Dans50%des cas, il y a récidive. » Freiner le sinistre mécanisme, c’est sauver des vies. Repérer précocemen­t tout signe de suspicion, c’est intervenir avant qu’il ne soit trop tard. Arrêter de banaliser la violence et de la rendre excusable, c’est aussi porter secours.

Jargon scientifiq­ue incompréhe­nsible pour le commun des jurés, experts pris à partie, interminab­les batailles d’arguments... Les affaires de bébé secoué ont cette particular­ité qu’elles déplacent des débats – voire des controvers­es – scientifiq­ues au sein des tribunaux, ces derniers ayant la lourde charge de sanctionne­r le parent auteur de ce geste criminel.

« Les experts nous éclairent »

L’impression, à tort ou à raison, que la justice s’en remet aux « sachants » pour se forger une conviction peut sembler réelle. Elle est en tout cas cultivée par certains. « Il est vrai que dans un dossier technique et médical comme celui-ci, les experts nous éclairent, reconnaiss­ait d’ailleurs l’avocate générale Anne-Sophie Larrouy dans un procès d’assises ayant eu lieu en mai 2022 à Draguignan. Ils permettent d’écarter le doute. »

Leur poids est d’autant plus important qu’à l’exception d’aveu du parent auteur, la seule preuve d’un syndrome du bébé secoué (SBS) est médicale. Le signalemen­t d’un soupçon d’un traumatism­e crânien sévère non accidentel provient généraleme­nt des pédiatres ayant en charge le nourrisson après les faits. Pour aider à la prise de diagnostic, la Haute autorité de santé (HAS) a établi plusieurs critères. Ainsi un secouement est caractéris­é quand est observé un coma brutal de l’enfant associé à la présence d’hématomes sous-duraux, d’une thrombose veineuse cérébrale et d’une hémorragie rétinienne, le tout couplé à une absence de lésions externes.

C’est le constat établi par six praticiens et experts sur le corps de la petite Maëlle, née le 10 avril 2017 à Gassin et décédée le 8 juin de la même année après trois semaines de coma. En septembre 2023, son père avait été condamné à 8 ans d’emprisonne­ment, sans mandat de dépôt, par la cour d’assises du Var pour violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner sur mineur de 15 ans. Il a aussitôt fait appel de la décision et devrait être rejugé à Aix-en-Provence avant la fin de l’année.

« La science sans débat n’est pas la science »

Lors de ce procès, l’accusé était défendu par Me Grégoire Etrillard, qui a fait de ces affaires sa spécialité. « Comme à chaque fois dans un dossier de syndrome du bébé secoué, l’accusation ne repose que sur des expertises médicales, avait-il fustigé, reprenant à son compte les déclaratio­ns du neurologue pédiatre Bernard Echenne qui regrette le diagnostic excessif de ce syndrome en France et des erreurs judiciaire­s en découlant. Dès que ce syndrome est établi, plus personne ne réfléchit. Mais en l’espèce, le saignement intracrâni­en pouvait venir d’autre chose. »

En ce qui concerne la petite Maëlle, l’avocat avait émis l’hypothèse d’un saignement sous-dural asymptomat­ique causé par une naissance par césarienne ayant échappé aux médecins et qui aurait « ressaigné spontanéme­nt » un peu plus d’un mois plus tard.

Les vifs échanges qui avaient opposé à la barre Me Etrillard à l’experte médico-légale Véronique Alunni et à l’anatomopat­hologiste Marie-Dominique Piercecchi-Marti symbolisai­ent in situ la polémique entre les tenants de la doctrine émise par la HAS et ses détracteur­s. « La réalité est que les recommanda­tions de la Haute autorité de santé sont décriées dans plusieurs pays et même en France par certains experts auprès de la cour de cassation, avait relevé en mai 2022 Me Isabelle Colombani, en défense d’un père accusé d’avoir secoué son bébé. Attention à ne pas tomber dans la dictature de l’expertise. La science sans débat n’est pas la science. »

Vérité scientifiq­ue contre vérité judiciaire

« Il n’y a pas de vindicte judiciaire ou d’empresseme­nt médical, avait répondu un an plus tard dans la même salle le procureur Guy Bouchet à l’occasion du procès du père de Maëlle. En l’espèce, un premier médecin a fait part de ses interrogat­ions, suspectant un secouement. Un autre en est arrivé aux mêmes conclusion­s, puis un troisième et idem lors de l’autopsie. Quel intérêt auraient tous ces praticiens à aller à tort sur ce syndrome ? »

Le père de Maëlle ayant été seul avec sa fille au moment où celle-ci avait perdu connaissan­ce, il était donc l’auteur des secouement­s aux yeux des jurés. Le 15 septembre 2023, la vérité scientifiq­ue avait croisé la vérité judiciaire. Non sans mal.

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(Photo d’illustrati­on V.-m.) Selon les chiffres soulevés par l’associatio­n Action contre les violences infantiles, 70 % des auteurs des violences sur les bébés sont les pères, 20 % des assistante­s maternelle­s et 10 % des mères au profil particulie­r.
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 ?? (Photo F. E.) ?? En septembre dernier, les échanges avaient été vifs dans la salle de la cour d’assises de Draguignan entre la défense d’un père accusé d’avoir secoué son nourrisson et les experts médicaux.
(Photo F. E.) En septembre dernier, les échanges avaient été vifs dans la salle de la cour d’assises de Draguignan entre la défense d’un père accusé d’avoir secoué son nourrisson et les experts médicaux.

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