Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

« Une licence jusqu’à ma mort »

Didier Botto-Lucchetti et Panayotis Liolios sont deux légendes du rugby varois. À 58 et 59 ans, ils n’en ont toujours pas fini avec la balle ovale. « Bottox » et « Pana » se racontent.

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRICK ILIC-RUFFINATTI

D’un côté, Panayotis Liolios, pilier du RC Six-Fours Le Brusc (Régionale 2) et de Sanary qui, à 59 ans (60 en avril), fait figure de joueur le plus âgé (expériment­é, pardon) de toute la Ligue Sud à évoluer avec une licence compétitio­n. De l’autre, Didier Botto-Lucchetti, manager et demi de mêlée du XV de Besagne (Régionale 2), d’un an son cadet mais qui, en n’ayant jamais arrêté le rugby depuis ses 6 ans, compte 52 licences compétitio­n consécutiv­es. Record dans la région. L’idée est alors née de faire se rencontrer ces deux légendes du rugby varois, déterminée­s à prouver chaque week-end que « les vieux ne veulent pas mourir ». Rendez-vous était pris samedi 2 mars au stade des Picotières de Sanary, pour une heure de souvenirs, d’anecdotes et d’échanges autour de leur passion viscérale et intacte : la balle ovale.

Leur parcours

PanayotisL­iolios:Jesuisnéen avril 1964 au Pirée (Grèce) et mes parents ont rejoint Six-Fours lorsque j’avais 4 ans. C’est mon maître d’école qui, un jour, a dit : “Le petit est agité, mettez-le au rugby”. J’ai pris ma première licence en 1969 à Sanary. Coup de coeur instantané. Parfois, j’allais même à l’école avec mes crampons en fer (rires) .Maisà l’époque, j’étais surclassé de deux catégories. Quand tu viens à vélo à 15 ans et que tous les mecs ont de la barbe et arrivent à moto, il y a un décalage… Alors je me suis mis au foot. J’ai finalement repris quand mes fils sont entrés à l’école de rugby. J’étais éducateur et j’avais 35 ans, quand Patrice Blachère m’a dit : “Pana, viens faire un entraîneme­nt.” Mes crampons étaient dans le coffre, au cas où (rires). Et là, le vestiaire, les odeurs, les bruits… Dès que j’enfile les crampons, j’ai 14 ans dans la tête. Didier Botto-Lucchetti : Je suis né en mai 1965 à Toulon et mon père m’a inscrit au Pradet en 1971. Ensuite, il y a eu La Valette, la Nationale B du RCT. Là, j’espérais toucher au haut niveau… Alors un jour, je suis allé voir Manu Diaz et Michel Miquelis, les coachs, et je leur ai dit : “Si vous m’essayez à la mêlée en une, vous n’allez plus jamais me sortir”. Miqué m’a tapé sur l’épaule, et m’adit: “Jeune, pense à ton avenir pro, c’est mieux comme ça”, alors je suis retourné au Pradet, où on m’a trouvé une place à la mairie (rires). À partir de là, je suis devenu entraîneur­joueur au Pradet, à Ollioules,

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Saint-Jean-du-Var ou encore au RC Corse. J’ai également coaché la sélection Côte d’Azur -26 ans, où j’ai entraîné les deux fils de Pana ! Et il y a deux ans, je suis devenu manager-joueur au XV de Besagne. Je joue en réserve, et pas tous les week-ends, mais c’est vrai que je n’ai pas manqué une licence depuis 1971. Cette année, c’est la 52e de suite.

Le choc des génération­s

P. L. : Quand j’évoque ma première licence en 1969, il y en a qui me rappellent qu’ils n’étaient pas nés, et d’autres que même leurs parents ne l’étaient pas !

D. B. : Imagine : quand j’ai démarré, c’était Pompidou le Président (rires).

P. L. : Pompidou, sérieux ? T’es jeune, moi, c’était encore de Gaulle. Plus pour longtemps, mais c’était de Gaulle (rires).

D. B. : Pourtant, même si nous ne sommes pas de la même génération que les mecs de 18 ans, je ne me sens pas en décalage. Les jeunes sont accessible­s, bienveilla­nts, sympas avec nous.

P. L. : Ils nous permettent aussi de rester dans l’ère du temps. Grâce à eux, je ne me sens pas déconnecté. Le seul truc qui m’embête, c’est qu’ils sont moins fous de rugby qu’on ne l’était. Avant, on n’aurait jamais manqué un match. Eux, parfois, ils ont un week-end au ski…

D. B. : Une fois, j’ai entendu : “Je ne peux pas venir dimanche, c’est

l’anniversai­re de la mère de mon meilleur pote” (rires). Nous, le nombre de bringues ou de barbecues qu’on a manqués… Le pire, c’était en 1986. Au lendemain de mon premier mariage, ma femme voulait qu’on reste tranquille, mais j’avais match. Alors je me suis levé sans faire de bruit, j’ai pris mon sac et je suis allé jouer avec Le Pradet. C’était peut-être un peu abusé (rires).

Quand j’ai démarré, c’était Pompidou le Président”

Quand un mec fait du cinéma, je vais voir l’arbitre et je dis : « Oh ! il a 20 ans et il joue la montre » ?”

Exemptés sur certaines séances ? Jamais !

P. L. : J’ai la chance de ne jamais avoir eu de grosses blessures. Et chaque lundi matin, je suis nickel. D. B. : Être préservé sur certains exercices ? Impossible. Et quand on ne peut pas s’entraîner car on a un pète, on fait du gainage, du physique en plus.

P. L. : De toute façon, si tu n’es pas prêt physiqueme­nt, tu te mets en danger. Au foot ou au basket, tu peux jouer à 70 ans en faisant le con sur un parking. Mais au rugby, si ton corps n’est pas préparé, ça peut être dangereux. Alors même si on est moins rapide qu’à l’époque, c’est impensable d’être épargné sur une séance. Le jour où je demande ça, je rentre à la maison et je jette les crampons.

Ciblés sur le terrain ?

D. B. : Par rapport à mon caractère, mais pas pour mon âge. Encore que… La dernière fois, il y en a un qui m’a dit : “Va à l’Ehpad.” Bah il en a pris une. Et je lui ai dit : “Comme ça, j’irai voir ta mère.”

P. L. : Au contraire, c’est moi qui les branche. Quand un mec fait du cinéma, je vais voir l’arbitre et je dis: “Oh ! il a 20 ans et il joue la montre” (rires) .Maisjeneme­sens ni ciblé, ni évité. De toute façon, au rugby, on te demande de respecter ton adversaire, c’est-à-dire de lui rentrer dedans qu’il soit grand ou petit, jeune ou vieux. Le jour où on fera la passe devant moi plutôt que de me défier, par peur de me faire mal, j’arrêterai.

D. B. : Il faut aussi dire que les jeunes nous gardent à l’oeil.

P. L. : C’est sûr que si on prend un taquet, ils peuvent dégoupille­r. D. B. : C’est touchant. Ils voient qu’on est là, qu’on s’y file, on sent leur respect.

Une motivation intacte

D. B. : Ce qui me tient à continuer de batailler avec des minots de 20 ans ? La passion. Parfois, c’est dur au niveau des impacts, aussi parce qu’on a pris beaucoup de coups depuis 50 ans (rires). Mais j’aime cette excitation, ce vivreensem­ble, les odeurs du vestiaire… P. L. : Quand arrive le dimanche, que tu entres dans le vestiaire, il y a toujours ce petit pétillemen­t dans le ventre, cette excitation. D. B. : Moi, je ressens encore cette boule au ventre avant le coup d’envoi. Pourtant, des matchs, on en a joué quelques-uns (rires).

P. L. : Les meilleures, ce sont les secondes qui précèdent l’entrée sur le terrain, quand tu te retrouves nez à nez avec les adversaire­s et qu’ils sont tous plus grands et costauds que toi !

Et la fin ?

P. L. : Je pensais avoir bouclé la boucle après avoir fait mon premier match avec mon fils. Alors j’ai stoppé un an. Sauf que je tournais en rond alors j’ai ressorti les crampons (rires). Mais là, je vais avoir 60 ans le 7 avril, et je me dis que le moment est peut-être vraiment venu... Et en même temps, quand je vois qu’il ne nous reste que quatre matchs en phase régulière… J’ai du mal à imaginer que le rugby puisse s’arrêter dans un mois… Et toi ?

D. B. : Un jour, j’aimerais jouer avec mon petit-fils. Le problème c’est qu’il n’a que 10 ans, alors je vais encore devoir prendre quelques licences (rires).

P. L. : Tu t’imagines passer une saison entière sans aider les copains ? Je sais qu’il y aura une fin, mais ça va me briser le coeur… D. B. : Impossible ! Je jouerai probableme­nt de moins en moins de matchs avec les années, mais quoi qu’il arrive, je prendrai une licence compétitio­n jusqu’à ma mort. Je n’arrêterai jamais le rugby.

 ?? (Photo Camille Dodet) ?? Adversaire­s cette saison encore (en réserve de R2), il était impossible pour « Pana » et « Bottox » de savoir combien de fois ils s’étaient affrontés dans leur carrière. Mais d’aussi loin qu’ils se souviennen­t, les deux se sont « toujours hyper bien entendus » sur le terrain.
(Photo Camille Dodet) Adversaire­s cette saison encore (en réserve de R2), il était impossible pour « Pana » et « Bottox » de savoir combien de fois ils s’étaient affrontés dans leur carrière. Mais d’aussi loin qu’ils se souviennen­t, les deux se sont « toujours hyper bien entendus » sur le terrain.
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(Photo DR) Panayotis Liolios accompagné de son fils, Yanis.
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(Photo DR) Didier Botto-Lucchetti, en 1993.

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