Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)

Autodidact­e accomplie

Laurence Huot de Saint-Albin fête cette année les cinquante ans de sa boutique de poterie ouverte par sa mère. Son secret de longévité dans ce métier exigeant : passion et don de soi.

- Imagine-t-elle dans un sourire indéfectib­le.

Bleu nuit, rouge coquelicot, jaune mimosa, les couleurs éclatantes qui garnissent les étagères sautent aux yeux en entrant dans la boutique. Les marques de pinceaux sont encore visibles sur les tasses, les assiettes et les vases mis à la vente. Chaque modèle est unique et les collection­s sont limitées. Nul doute : l’amour de l’artisanat est roi dans cette poterie.

Cette échoppe est installée, depuis 50 ans cette année, rue Carnot à Cogolin. À sa tête, Laurence Huot de Saint-Albin. Elle est les mains, le cerveau et surtout le coeur derrière les poteries, les toiles et les céramiques. « Il y a une histoire derrière chaque pièce. Elles sont vivantes. Souvent, les échanges avec mes clients m’inspirent et j’essaye de retranscri­re ce moment dans mes créations. Je travaille avec mes émotions et mes sentiments », confie-t-elle. Autodidact­e, elle a appris le métier en observant les gestes de sa mère. La boutique a ouvert quand elle avait six ans et elle y passait le plus clair de son temps. À force de travail, elle a acquis le niveau nécessaire pour prêter main-forte à sa mère. Elle commence à s’essayer à de nouvelles techniques : « Elle était uniquement décoratric­e. Moi, j’ai commencé la sculpture parce que sortir un bel objet d’un peu d’argile, c’est quand même magique. Et puis j’ai pris la main à tel point que ma mère me disait que je pouvais être faussaire. » Aujourd’hui, elle combine les deux et travaille beaucoup avec des commandes personnali­sées. Reprendre la boutique semblait pour elle la suite logique de son enfance. « L’école ce n’était pas mon truc. Je passais mon temps en classe à dessiner

au coin d’une feuille. Mes enseignant­s disaient souvent à ma mère que j’étais dans la lune », se rappelle Laurence. Le dessin était son refuge dans une enfance qu’elle décrit comme difficile. Maintenant son atelier est son cocon : « Ici, je développe mon monde, mon univers. Je crée, je sculpte, je peins et je ne m’en lasse jamais. On me dit que je travaille trop mais je ne vois pas les heures passer. »

Parcours initiatiqu­e

Aujourd’hui ses revenus modestes conviennen­t à « la vie simple » qu’elle souhaite mener. Enfant, elle avait été habituée à une situation plus précaire : « Ma mère d’origine Laotienne sortait le Rice cooker tous les soirs parce qu’elle n’avait pas les moyens de nous cuisiner autre chose. Je peux plus me voir cet appareil. » Adolescent­e, Laurence aidait déjà sa mère, Manichãn sur la partie commercial­e. « Elle était tellement gentille qu’elle faisait des prix et offrait parfois ses produits. Certains clients venaient pour ça, et non pour son style. Ça me faisait mal au coeur alors j’ai arrêté de laisser passer », s’indigne-telle encore. Un autre point sur lequel elle a été et reste intransige­ante : le respect du délai lors des commandes. Au fur et à mesure, l’apprenti potière a su développer son propre style et affirmer son mode gestion. Elle reprend les rênes en 1990 à seulement 16 ans et elle est rapidement confrontée aux difficulté­s d’une artisan auto-entreprene­use. Pour créer et développer sa clientèle, elle joue le jeu des marchés malgré l’agitation et le bruit qui lui déplaisent. Elle découvre aussi la saisonnali­té importante du Golfe à laquelle elle a sû s’adapter : « mère, avec son caractère, voulait toujours produire, produire, produire. J’ai gardé cette habitude au début mais financière­ment je ne pouvais pas gérer le stock. » Les recettes de l’été lui permettent de tenir durant le calme de l’hiver dont elle profite pour concevoir ses nouvelles créations. Mais à la venue des beaux jours, c’est le même refrain : « J’ai la boule au ventre. J’ai peur de devoir tout jeter parce que ma collection ne plaît pas. Car si je me rate une seule fois, tout peut s’effondrer. Et pourtant, après cinquante ans la boutique est toujours là. »

Nulle part ailleurs

Des lavandes provençale­s sur la faïence, des poissons bleu et vert de la cité lacustre qui nagent de poterie en poterie et un coq majestueux en face d’un buste du fier chevalier Torpès, nombreux sont les symboles renvoyant au territoire. Car Laurence ne se voit pas vivre ailleurs. Et son refuge dans le Golfe, c’est Port Grimaud : « Je retrouve une clientèle que j’ai depuis 30 ans. Pour certains estivants, leur premier réflexe est de venir me voir en arrivant. C’est très touchant. » Dans cet anniversai­re symbolique, elle voit le savoir accumulé toutes ces années et redoute la fin. Heureuseme­nt, sa belle-fille de 27 ans, Alicia, employée actuelleme­nt dans le prêt-à-porter souhaite se reconverti­r et apprendre avec elle. « Je lui montre juste la technique et je la laisse développer son style. Au moins, je n’aurai pas fait tout ça pour rien. Je continuera­i toujours de créer. Si la santé ne me le permet plus, je préfère mourir jeune. Et une fois partie, j’existerai toujours dans une plaque de maison, dans un beau vase posé sur une table quelque part et dans chaque oeuvre qui contient un peu de moi »,

Je continuera­i toujours de créer ”

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Textes et photos : Jocelyn Florent Retrouvez notre vidéo sur varmatin.com

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