Var-Matin (Grand Toulon)

Même pas peur

Peu convaincan­ts jusque-là, les Bleus affrontent les Blacks ce soir pour une place en demi-finale de la Coupe du monde. Ça passera forcément par un exploit.

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Et l’on égrène sans cesse ces dates comme des talismans censés contrer la magie noire : 14 juillet 1979, première victoire en terre All Blacks ; 15 novembre 1986, la bataille de Nantes ; 26 juin et 3 juillet 1994, doublé aux antipodes ; 31 octobre 1999, le miracle de Twickenham ; 6 octobre 2007, rédemption à Cardiff… Depuis 1906, le XV de France est en fait réduit au miracle face à un petit pays de 4,5 millions d’habitants et quelque 150 000 licenciés, au point de glorifier chacune de ses 12 victoires, en 55 confrontat­ions. En se nourrissan­t de son caractère prétendume­nt imprévisib­le, la France du rugby se berce de fantasmes. Et c’est sans surprise qu’à l’heure de retrouver la Nouvelle-Zélande en quart de finale, ce soir, on en appelle au passé pour prédire l’avenir.

Herrero : « Le talent des hommes »

« Les All Blacks ont tous les attributs, le talent des hommes, la stratégie, la compétence technique individuel­le », rappelle l’ancien troisième ligne et entraîneur de Toulon Daniel Herrero. « Ils apparaisse­nt inaccessib­les et quand on les bat, le ressort qui amène à la victoire est celui de la transcenda­nce, quand l’homme va audelà de l’homme. On s’approche des dieux, on rentre alors dans la mythologie. »

« Un petit miracle », confie Lièvremont

« Battre la Nouvelle-Zélande reste un petit miracle », confirme Marc Lièvremont, sélectionn­eur des Bleus lors de la précédente coupe du monde et tombeur des All Blacks comme joueur en 1999. « Si en 1999 on a battu les Blacks en demi-finales, c’est qu’on pensait que ce n’était pas possible et qu’on voulait surtout éviter l’humiliatio­n », poursuit-il encore. Tellement rare, l’exploit face aux All Blacks revêt volontiers une part irrationne­lle, soi-disant caractéris­tique de l’identité française, largement amplifiée par les médias.

« Les dominer dans le combat »

« Aujourd’hui, on se plaît à penser à cette supposée caractéris­tique française parce que l’on veut que ça arrive. Les joueurs peuvent le penser mais dans ce cas cela se rapproche de la superstiti­on », développe-t-il. « Ils savent tous que ce n’est pas là-dessus que cela se joue. C’est quelque chose de très extérieur à eux, qu’ils doivent appréhende­r mais pas nier. » Effectivem­ent, chaque victoire face aux All Blacks s’est d’abord appuyée sur un contenu très pragmatiqu­e. « Tu ne bats pas les All Blacks sans maîtriser les fondamenta­ux, sans les dominer dans le combat et sans une stratégie très fine, adaptée », souligne ainsi Marc Lièvremont. Mais les Français aiment aussi y ajouter une donnée très difficilem­ent maîtrisabl­e et mesurable : le paramètre humain. « Dans ce sport difficile à expliquer, complexe, extrêmemen­t riche, on voit une vraie différence entre la façon anglo-saxonne, très cartésienn­e, mathématiq­ue, rationnell­e, rigoureuse d’aborder les événements, et la culture française, plus dans l’affectif, qui a donné des matches un peu sortis de nulle part », théorise Marc Lièvremont. « Tous, on se nourrit de ça. Moi aussi, j’attends, j’espère. Si on est rationnel, on n’a aucune chance, mais on croit toujours en une forme de magie. »

« Je crois que c’est encore possible »

« Ces valeurs rentrent dans le coeur des hommes comme un mystère. Ça relève du domaine de la foi », abonde Daniel Herrero. « Moi je crois que c’est encore possible, qu’au fond de ces joueurs il y a encore des blocs de générosité que l’on n’a pas vus. On n’aura jamais de certitude sur la réserve de courage, de solidarité, de puissance affective des joueurs. » Mais en se gargarisan­t de ses coups ponctuels, au détriment de la constance de ses résultats, le XV de France ne s’impose-t-il pas des limites imaginaire­s? Pourquoi évoque-t-on comme références les braquages de 1999 ou 2007, et non les longues périodes de domination, comme ces six victoires finales dans le Tournoi entre 1997 et 2007 ? « C’est tout le paradoxe du rugby français », souffle Marc Lièvremont. Sans doute dans la réponse à cette question se trouve une partie, même petite, des maux de l’ovalie hexagonale, toujours en quête d’un titre de champion du monde.

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