Var-Matin (Grand Toulon)

«Unsoir,àans,j’aidit: “Je ne mange plus”... »

Anorexique pendant des décennies, Annie témoigne de ce qu’elle décrit comme un symptôme, plutôt qu’une maladie

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Annie ne voulait plus rien peser. Zéro kilos. « Un soir, j’ai dit à mes parents : “Je ne mange plus…” J’avais 16 ans. » Ces mots ne seront pas vains. À compter de ce jour, Annie, aujourd’hui âgée de 70 ans, n’absorbera que quelques dizaines de calories par jour. « Seulement une pomme, parfois », se souvient-elle. Une torture pour ses parents, sa maman en particulie­r, qui assistent, impuissant­s, à son déclin physique. « On a d’abord pensé que j’avais quelque chose à l’intérieur… Et puis, c’est devenu une obsession pour ma famille : “Comment la faire manger ?” » Ils étaient aussi habités par un fort sentiment de culpabilit­é. Mais – et c’est ce que je dis souvent aux parents de jeunes filles anorexique­s que je rencontre : il ne faut pas chercher de coupable, dans cette maladie. Il n’y en a pas. »

« On m’abandonnai­t parfois chez les fous »

Pas de coupable peut-être, mais une situation tellement inquiétant­e pour l’entourage, qu’elle peut le conduire à prendre des décisions radicales, comme le placement en hôpital psychiatri­que. « C’était terrible », se souvient Annie. Pour ne pas rester enfermée, à chacun de ses séjours hospitalie­rs, Annie se remet à manger normalemen­t : « Je passais de 50 calories par jour à 1 500 ! » Les années vont passer, jalonnées d’épreuves ; âgée d’à peine trente ans, Annie doit se voit diagnostiq­uer un cancer. « Mais j’ai refusé la chimiothér­apie. On m’a dit que j’allais mourir. Je ne suis pas morte. » Quelque temps après, c’est sa maman qui est emportée par la même maladie. Les souffrance­s d’Annie, physiques et psychiques, ne lui laissent aucun répit. Et puis, un jour, la jeune femme franchit la porte d’un psychanaly­ste. « Ce jour-là, j’ai enfin rencontré quelqu’un qui ne m’a pas demandé de manger. Qui s’est demandé plutôt pourquoi je ne mangeais pas et non pas comment faire pour que je mange. » Une sorte de reconnaiss­ance pour Annie, convaincue que son « mal » est ailleurs. «Je n’étais pas malade au sens premier du terme. Je souffrais d’une maladie existentie­lle. La nourriture permet de grandir. J’avais le sentiment de ne pas avoir de place… Alors, pourquoi grandir ?.. » Tout ça, Annie va le découvrir au fil des séances. « Lors des premières, j’étais tellement faible que je ne pouvais même pas tenir sur une chaise… », se souvient-elle.

« Comme si vivre me faisait mourir »

Au cours de sa longue et difficile analyse, Annie va avoir confirmati­on de ce que ce qu’elle pressentai­t : « Le refus de manger est un symptôme, l’arbre effrayant et sombre, demeure de l’inconscien­t : pénétrer en ce lieu, tracer des voies, trouver sa voix et, après avoir défait les noeuds d’une histoire à la fois si douloureus­e et magnifique, avoir accès à ses sentiments, avoir la parole… », écrit-elle dans son livre témoignage (1). Lorsqu’on lui demande si son histoire est singulière, la septuagéna­ire, qui réside aujourd’hui à Monaco, confirme que chaque situation d’anorexie est unique. Mais, selon elle, « on retrouve souvent une difficulté à trouver une place dans sa famille ». C’était son cas. « J’appartenai­s à ma mère qui me disait : “Tu es tout pour moi…” C’est comme si je n’étais jamais née. Je faisais attention à ne pas prendre de poids, pour occuper le moins de place possible… C’est comme si vivre me faisait mourir… » Aujourd’hui, Annie est sereine. Elle a retrouvé goût à la vie. « Je peux dire “Je” désormais. Je suis le sujet de ma propre histoire. »

« Il ne faut pas chercher de coupable dans cette maladie... Iln’yenapas.»

1. Être après l’anorexie, éditions Bénévent et Liber Faber.

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(Photo Nancy Cattan) Annie Carletti présente son livre « Être après l’anorexie ».

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