Faux pas à l’Opéra
C’est un événement à la fois parisien et si révélateur de l’état de notre pays: la démission de Benjamin Millepied de son poste de directeur de la danse à l’Opéra national de Paris ne changera certes en rien notre quotidien et sera vite oubliée mais cet épisode traduit l’incapacité désormais bien française de prendre des risques. C’est, d’une certaine manière, le triomphe de la France de la terre, conservatrice et repliée sur elle-même, sur la France de la mer, aventureuse et créative. Que de louanges avait-on, à juste titre, entendu, le novembre , quand ce danseur
er et chorégraphe bordelais de ans, devenu star aux Etats-Unis, avait pris la tête de cette troupe de interprètes déjà considérée comme l’une des meilleures sinon la meilleure du monde. L’excellence de ce ballet n’était pas en cause, mais la volonté était manifeste de l’ouvrir plus largement à la création contemporaine sans pour autant faire table rase de son passé et de son répertoire classique.
Son ambition déclarée était que cette compagnie, née en à l’initiative de Colbert, apporte encore plus à l’histoire de la danse. Quatorze mois plus tard, après avoir beaucoup entrepris, soulevé l’enthousiasme d’un public de fans, attiré de nouveaux mécènes, Benjamin Millepied renonce et s’en va sans grands commentaires pour se consacrer, dit-il, à la création artistique. Sans doute la fonction écrasante qu’il avait acceptée brimait le chorégraphe et le danseur qu’il est avant tout, mais ce n’est pas tout! Ce départ est aussi un échec. Pour lui, sans doute, qui n’en souffrira guère, tant il est sollicité à travers le monde mais, surtout, pour l’Opéra de Paris. Cette grande institution à la fois perd un personnage emblématique et confirme combien y pèse le poids des traditions et des habitudes. L’Opéra de Paris est une maison brillante, certes, mais c’est aussi une forteresse pour les corporatismes. La fonction finit par y peser plus lourd que l’expression artistique. L’audace de Benjamin Millepied a donc rendu les armes devant cette troupe qui, certes, accepte la création mais veut s’en tenir d’abord à la danse classique. Etoile, merveilleuse au demeurant, de cette maison, Aurélie Dupont, nouvelle directrice de ce temple du classique, entend bien, d’ailleurs, qu’il le reste. Elle l’a dit: « Deux grands ballets classiques sur treize productions, c’est insuffisant. C’est avec eux que le Ballet se maintient au niveau. » Benjamin Millepied ira, lui danser l’avenir sous d’autres cieux. Ce pas de deux, en tout cas, fait resurgir ce mot de Jean Cocteau: « L’Opéra est le seul endroit où la poussière se transforme en béton. » On a parfois le sentiment que toute la France ressemble à l’Opéra.
« La démission du directeur de la danse, Benjamin Millepied, traduit l’incapacité désormais bien française de prendre des risques. »