«La Tunisie a besoin de la solidarité de l’Europe »
Abdessattar Ben Moussa préside, depuis 2011, la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LDTH), une des quatre organisations qui ont reçu le prix Nobel en 2015. Avocat, pourfendeur de lois liberticides et épris de démocratie, il a été, reste, une des grandes voix du « Dialogue national tunisien ».
Ce Nobel a encouragé la transition démocratique? Cela a été une belle surprise. Ce prix est un honneur pour notre pays, une consécration pour le peuple tunisien. Cette récompense porte plusieurs messages. Elle dit que seul le dialogue peut résoudre les problèmes quand les armes n’apportent que des larmes. C’est aussi un message de liberté et de démocratie pour la Tunisie et le monde entier. Cela nous a aidés: on nous entend. Le Premier ministre Habib Essid nous a consultés pour la composition de son gouvernement, lors des manifestations de Kasserine.
Que signifient les émeutes de Kasserine? Le désenchantement cinq ans après la révolution ? La révolution avait éclaté pour le travail. Aujourd’hui, le chômage, notamment des jeunes, est une problématique importante. En ce moment, des chômeurs font la grève de la faim au siège de la LTDH. On réussira à bâtir la démocratie si on résout les problèmes économiques et sociaux. C’est notre responsabilité.
Comment? On a besoin de la solidarité européenne. Il y a beaucoup de promesses, mais peu se traduisent en actes. L’Allemagne a été la première à convertir les dettes de la Tunisie en investissements. La France l’a fait aussi. C’est essentiel pour le pays. Pourquoi il faut être solidaire de cette démocratie naissante? Pour combattre le terrorisme et l’émigration clandestine. Ces deux dangers dépassent largement la Tunisie, ils concernent l’Europe et le monde entier.
Et la manne du tourisme? Depuis les attentats, le tourisme a fortement chuté. Il faut revenir. Ne pas avoir peur. La Tunisie a des atouts culturels, des richesses thermales, des monuments magnifiques.
La démocratie est fragile… Il reste encore beaucoup à faire. Il faut mettre en place une cour constitutionnelle, un institut supérieur de la magistrature, etc. Il reste des lois liberticides: jusqu’à il y a quelques jours, la loi ne prévoyait pas d’avocat en garde à vue. Dans la pratique, les atteintes aux libertés persistent: la situation des prisons est déplorable, on voit encore des manifestants maltraités. La marche vers la démocratie est un long processus. Mais la Révolution française ne s’est pas faite en un jour. Il faudra du temps, c’est un combat. Pourtant, malgré les atteintes, il y a des acquis. La jeunesse et le peuple n’accepteront plus jamais le despotisme et la dictature.