Catherine Jacob : « La vie est belle, à bras-le-corps »
Interview À l’affiche de L’Impresario de Smyrne, le 11 février à Monaco, la comédienne se réjouit de la cruauté « extraordinairement actuelle » d’une pièce de 1759 aux ressorts universels
Elle a ce phrasé pincé et ce plaisir du parler cru, cette forme de gouaille assumée qui la rendent inimitable. Sa voix, déjà. Reconnaissable entre mille? « Oh, entre trois ou quatre, peutêtre… » , tempère Catherine Jacob qui se rit de tout ce que l’on peut dire ou penser d’elle. Indépendante et entière.
Cet Impresario en peu de mots ? La pièce de Carlo Goldoni a plus de deux cents ans, mais elle est d’une actualité étonnante. L’Impresario de Smyrne est une sorte d’allégorie sur le territoire du spectacle où des chanteurs d’opéra tentent de s’intimider les uns les autres en évoquant de mirifiques engagements, alors qu’en réalité, ils sont tous aux abois et ont besoin de pognon. Arrive un Turc richissime qui, spécialiste du commerce mais ne connaissant rien aux choses du théâtre, projette de monter un spectacle comme personne n’en a encore jamais vu dans son pays. Il n’est nullement impressionné par ces artistes, pourtant renommés. Qui, du coup, se font maltraiter par cet homme qui veut juste monter une affaire. C’est donc une sorte de bûcher des vanités où tout ce petit monde est secoué dans sa mégalomanie narcissique. Et voilà comment ces intermittents du spectacle, au XVIIIe siècle, vont se tirer la bourre pour séduire l’impresario turc, dans l’espoir d’améliorer leur confort.
Jalousie, ego, compétition ?
Oui, bien sûr. Mais ce n’est pas inhérent à ce milieu. Petits chefs d’entreprise, commerçants : nous sommes tous exposés. Le désir de sécurité et d’aisance matérielle, c’est universel. Comme le sont la précarité, le mensonge, les promesses, dans un jeu de dupes permanent où le seul moyen de s’en sortir est de porter beau, de faire le « prétentiard », comme si tout allait bien. C’est un peu dans l’air du temps, hein?
« Sur la longueur, il faut une certaine discipline. Sinon, ça ne marche pas. » Vous jouez aussi Madame… Un truc terrible. h , seule en scène. Un exercice de style très dense alors que L’Impresario de Smyrne est une joyeuse fantaisie. Joyeuse… et cruelle. Joli petit décor et costumes mignonnets, d’accord, mais nous ne sommes pas vraiment de gentilles filles! Madame, c’est une licence littéraire imaginée par Rémi de Vos. Où une petite Bécassine brutalisée par la vie raconte ses rencontres avec Landru et Petiot, pendant les deux grandes boucheries internationales qu’ont été les guerres mondiales. Soit une cinquantaine d’années, à travers l’oeilleton du metteur en scène, avec des choses très dures, dans une langue extrêmement dense et précise, même si elle est parfois argotique. Je suis restée sept semaines au Théâtre de l’OEuvre, à Paris, et je pars en tournée l’an prochain. Je pense d’ailleurs que je jouerai les deux pièces en même temps.
Pourquoi insistez-vous souvent sur la nécessité de rigueur ? Sinon, ça ne marche pas. C’est aussi simple que cela. À vingt ou vingt- cinq ans, on peut s’amuser à sortir en boîte et à faire la fête, mais je vous assure que sur la longueur, il faut une certaine discipline. Ce qui ne veut pas dire une vie de bonne soeur, même si je n’ai rien contre les bonnes soeurs. Quoique… Bref, on ne s’empêche pas de boire un petit coup après la représentation, mais une vie de barreau de chaise, non. Ça ne fonctionne pas.
« Vous verrez, nous ne sommes pas vraiment de gentilles filles… »