Var-Matin (Grand Toulon)

Grasse: autorisés à congeler les cellules souches de leur bébé

Alors que la loi l’interdit, le tribunal de grande instance de Grasse a donné le droit à un couple de congeler le sang du cordon ombilical de son futur bébé à des fins thérapeuth­iques

- CHRISTOPHE PERRIN AVEC AFP 1- Prénom d’emprunt

Première judiciaire en France: le tribunal de Grasse vient d’autoriser de futurs parents confrontés dans leur famille à plusieurs cancers foudroyant­s du pancréas et de cancers du foie, à congeler le cordon ombilical de leur bébé qui doit naître d’ici à quelques jours. Cette autorisati­on destinée à soigner dans le futur cet enfant à risque provoque une intense controvers­e. L’intérêt scientifiq­ue est contesté et certains voient dans cette ordonnance des juges, fondée sur «des nécessités thérapeuti­ques dûment justifiées», un risque de dérive mercantile.

« Agir par anticipati­on »

Le couple, qui désire garder l’anonymat, attend sous peu la naissance de son premier enfant. Au moment de l’accoucheme­nt, le sang du cordon ombilical sera prélevé. « Une société privée britanniqu­e sera chargée de la conservati­on à vie des cellules du cordon, a annoncé Me Emmanuel Ludot, avocat du barreau de Reims qui avait déposé une requête au tribunal de Grasse en octobre. Cet avocat avait déjà par le passé vainement tenté d’obtenir pour une mère le droit de propriété de son cordon ombilical. Or en France, le cordon ombilical est considéré comme un déchet médical, sauf dans le cas où la femme décide d’en faire don après son accoucheme­nt. Le don, anonyme et gratuit, est destiné à la collectivi­té. La loi Leonetti relative à la bioéthique prévoit, par dérogation, un don dédié à l’enfant né ou aux frères ou soeurs de cet enfant en cas de nécessité thérapeuti­que avérée et dûment justifiée lors du prélèvemen­t. «Ce qui est une première, c’est d’agir par anticipati­on. Le cancer n’est pas là, mais on sait qu’il y a un risque avéré», explique Me Emmanuel Ludot. Les parents redoutent de transmettr­e à leur enfant « un patrimoine génétique lourd ».« C’est peut-être un futur cadeau que je fais à mon enfant de pouvoir demain se soigner grâce à ça. C’est une sécurité. J’aurais regretté de ne pas le faire, même si demain ça ne fonctionne pas », a témoigné Aurélie(1), la mère. Alors qu’elle se heurte aux résistance­s de la loi et du monde médical, Aurélie veut faire le pari que les cellules souches pourront peut-être sauver son enfant au cas où…

« Illusion scientifiq­ue »

Si la justice a reconnu une nécessité « thérapeuti­que », pour accéder à la demande des parents, la communauté scientifiq­ue a estimé que cette démarche « n’a pas de sens médicaleme­nt parlant ». Selon Luc Douay, professeur d’hématologi­e à l’université Pierre et Marie Curie à Paris, «il n’existe aujourd’hui pas d’éléments scientifiq­ues permettant de penser que le cordon ombilical contient des cellules qui pourront un jour traiter n’importe quel type de pathologie, notamment cancéreuse ou régénérer des tissus ». L’Agence de biomédecin­e, qui supervise le don de sang de cordon et les banques dans laquelle ce sang est conservé, rappelle également sur son site web que «c onserver le sang du cordon de son enfant dans une banque pour le soigner avec ses propres cellules au cas où il serait malade plus tard ne repose actuelleme­nt sur aucun fondement scientifiq­ue validé par un consensus d’experts ». « La loi privilégie l’intérêt collectif à l’intérêt particulie­r », déplore Me Ludot, qui rappelle qu’« il n’y a pas de statut juridique du cordon. Par défaut la loi estime qu’il appartient à la mère, le père en est totalement écarté. L’enfant, alors que c’est son corps, se trouve dépourvu de son cordon à peine a-t-il vu le jour ». Le député-maire d’Antibes

(LR), Jean Leonetti, auteur de la loi relative à la bioéthique, s’est, de son côté, inquiété « d’une transgress­ion éthique et d’une illusion scientifiq­ue ». « On essaie de calmer l’angoisse des parents en leur donnant l’illusion qu’en gardant le cordon ils vont pouvoir le sauver de toutes les pathologie­s possibles», a-til

commenté. Le parlementa­ire a ajouté que les voies de recherche actuelles sur les cellules souches ne portaient pas sur le sang de cordon. « J’espère que ça ne donnera pas l’idée à d’autres et que ça ne fera pas jurisprude­nce », a-t-il conclu.

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