Grasse: autorisés à congeler les cellules souches de leur bébé
Alors que la loi l’interdit, le tribunal de grande instance de Grasse a donné le droit à un couple de congeler le sang du cordon ombilical de son futur bébé à des fins thérapeuthiques
Première judiciaire en France: le tribunal de Grasse vient d’autoriser de futurs parents confrontés dans leur famille à plusieurs cancers foudroyants du pancréas et de cancers du foie, à congeler le cordon ombilical de leur bébé qui doit naître d’ici à quelques jours. Cette autorisation destinée à soigner dans le futur cet enfant à risque provoque une intense controverse. L’intérêt scientifique est contesté et certains voient dans cette ordonnance des juges, fondée sur «des nécessités thérapeutiques dûment justifiées», un risque de dérive mercantile.
« Agir par anticipation »
Le couple, qui désire garder l’anonymat, attend sous peu la naissance de son premier enfant. Au moment de l’accouchement, le sang du cordon ombilical sera prélevé. « Une société privée britannique sera chargée de la conservation à vie des cellules du cordon, a annoncé Me Emmanuel Ludot, avocat du barreau de Reims qui avait déposé une requête au tribunal de Grasse en octobre. Cet avocat avait déjà par le passé vainement tenté d’obtenir pour une mère le droit de propriété de son cordon ombilical. Or en France, le cordon ombilical est considéré comme un déchet médical, sauf dans le cas où la femme décide d’en faire don après son accouchement. Le don, anonyme et gratuit, est destiné à la collectivité. La loi Leonetti relative à la bioéthique prévoit, par dérogation, un don dédié à l’enfant né ou aux frères ou soeurs de cet enfant en cas de nécessité thérapeutique avérée et dûment justifiée lors du prélèvement. «Ce qui est une première, c’est d’agir par anticipation. Le cancer n’est pas là, mais on sait qu’il y a un risque avéré», explique Me Emmanuel Ludot. Les parents redoutent de transmettre à leur enfant « un patrimoine génétique lourd ».« C’est peut-être un futur cadeau que je fais à mon enfant de pouvoir demain se soigner grâce à ça. C’est une sécurité. J’aurais regretté de ne pas le faire, même si demain ça ne fonctionne pas », a témoigné Aurélie(1), la mère. Alors qu’elle se heurte aux résistances de la loi et du monde médical, Aurélie veut faire le pari que les cellules souches pourront peut-être sauver son enfant au cas où…
« Illusion scientifique »
Si la justice a reconnu une nécessité « thérapeutique », pour accéder à la demande des parents, la communauté scientifique a estimé que cette démarche « n’a pas de sens médicalement parlant ». Selon Luc Douay, professeur d’hématologie à l’université Pierre et Marie Curie à Paris, «il n’existe aujourd’hui pas d’éléments scientifiques permettant de penser que le cordon ombilical contient des cellules qui pourront un jour traiter n’importe quel type de pathologie, notamment cancéreuse ou régénérer des tissus ». L’Agence de biomédecine, qui supervise le don de sang de cordon et les banques dans laquelle ce sang est conservé, rappelle également sur son site web que «c onserver le sang du cordon de son enfant dans une banque pour le soigner avec ses propres cellules au cas où il serait malade plus tard ne repose actuellement sur aucun fondement scientifique validé par un consensus d’experts ». « La loi privilégie l’intérêt collectif à l’intérêt particulier », déplore Me Ludot, qui rappelle qu’« il n’y a pas de statut juridique du cordon. Par défaut la loi estime qu’il appartient à la mère, le père en est totalement écarté. L’enfant, alors que c’est son corps, se trouve dépourvu de son cordon à peine a-t-il vu le jour ». Le député-maire d’Antibes
(LR), Jean Leonetti, auteur de la loi relative à la bioéthique, s’est, de son côté, inquiété « d’une transgression éthique et d’une illusion scientifique ». « On essaie de calmer l’angoisse des parents en leur donnant l’illusion qu’en gardant le cordon ils vont pouvoir le sauver de toutes les pathologies possibles», a-til
commenté. Le parlementaire a ajouté que les voies de recherche actuelles sur les cellules souches ne portaient pas sur le sang de cordon. « J’espère que ça ne donnera pas l’idée à d’autres et que ça ne fera pas jurisprudence », a-t-il conclu.