Var-Matin (Grand Toulon)

Danielle Mérian: «Je refuse de dire que j’ai peur»

Un an après les attentats de Paris et sa fameuse interview à BFM, cette avocate à la retraite publie Nous n’avons pas fini de nous aimer. Nous l’avons rencontrée au Pradet

- PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT SEGUIN lseguin@varmatin.com

Au premier abord, Danielle Mérian est une retraitée comme une autre. Son apparence, soignée, est avant tout celle d’une grand-mère, comme on en croise tant d’autres. Une apparence, ordinaire, familière, qui, le 16 novembre 2015 a sans doute invité le reporter de BFM à l’interroger, alors que trois jours après le drame du Bataclan elle déposait des fleurs. Pensant recueillir le propos d’une grand-mère, il ne se doutait pas que celle qui allait devenir « supermamie » lui formulerai­t cette étonnante réponse : « C’est très important d’apporter des fleurs à nos morts, c’est très important de lire plusieurs fois le livre d’Hemingway Paris est une fête. Nous sommes une civilisati­on très ancienne et nous porterons au plus haut nos valeurs. […] Nous fraternise­rons avec les cinq millions de musulmans qui exercent leur religion librement et gentiment et nous nous battrons contre les 10 000 barbares qui tuent, soi-disant au nom d’Allah.» Un an après ce puissant message, relayé à travers toute la sphère médiatique, elle signe un court récit, intitulé Nous n’avons pas fini de nous aimer et c’est la romancière Tania de Montaigne qui a recueilli ses propos. Rencontre au Pradet à la librairie Mille paresses.

Vous étiez avocate. Si on vous avait demandé de défendre Salah Abdeslam, quelle aurait été votre réaction, votre réponse ? J’étais avocate en droit de la famille. J’ai divorcé mes contempora­ins pendant  ans, le pénal n’était donc pas ma spécialité. Mais, j’ai un confrère qui s’appelait Albert Naud et qui a écrit un livre intitulé Les défendre tous. C’est notre métier. Il n’y a pas de monstre, il y a seulement des êtres humains qui commettent des actes monstrueux.

Vous défendez notamment les prisonnier­s et dénoncez les conditions carcérales dans les prisons françaises. Votre regard sur celles de Salah Abdeslam, soumis à l’isolement et vidéo-surveillé vingt-quatre heures sur vingt-quatre ? C’est de la torture. C’est contraire aux conditions édictées par l’Europe.

Au lendemain du  novembre, les Français s’étaient montrés unis, mais le  juillet dernier, après Nice, une forme de division est apparue. Avez-vous craint que les terroriste­s parviennen­t à leur fin ? Celle de la fracture nationale ? Je n’ai pas relevé de fracture. Au lendemain de Nice, chrétiens et musulmans se sont retrouvés. Je suis plutôt fière de la réaction de la société civile. Ça a aussi été le cas après l’assassinat du père Hamel.

Le monde dans lequel nous vivons vous fait-il peur ? Il y a des gens qui ont peur. Mais avoir peur, c’est donner raison à Daech. Dans mon quartier à Paris, où l’horreur est arrivée, la vie a repris ses droits. Nous avons recommencé à faire la fête. Je refuse de dire que j’ai peur. Je travaille à la fraternité. Comme disait Hugo, c’est la fraternité qui sauve la liberté.

Ce livre de Tania de Montaigne que vous venez présenter aujourd’hui, comment le regardez-vous? C’est le récit de mes engagement­s. Pas celui de ma vie.

Peut-on dire qu’il s’agit d’un message pour la jeunesse, un peu comme celui de Stéphane Hessel qui avait signé Indignez vous ? Stéphane Hessel nous manque. André Gide a dit : « Le jour où je cesserai de m’indigner, j’aurai vieilli ».

Pour finir, comment avez-vous vécu le buzz provoqué par votre interview à BFM ? Je suis la fille d’un journalist­e très fameux qui présentait le journal télé à l’époque où il n’y avait qu’une chaîne (Claude Darget, Ndlr). J’ai grandi avec l’idée que pour vivre heureux, il fallait vivre caché. Mais, c’est un bon coup de projecteur­s pour mes combats.

Ces combats sont multiples. Vous défendez la femme, luttez contre l’excision. C’est votre tempéramen­t d’avocate qui ressort ? Ça vient plutôt de ma vie personnell­e. En , quand j’ai voulu ouvrir un compte en banque, on m’a demandé l’autorisati­on de mon mari. J’ai répondu que j’irai voir la banque d’en face et finalement on m’a ouvert le compte sans autorisati­on. On n’est pas obligés de répondre à des règles complèteme­nt crétines. Il faut avoir le culot d’exercer son intelligen­ce.

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(Photo Patrick Blanchard) Danielle Mérian et Tania de Montaigne lors de leur passage au Pradet.

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