Var-Matin (Grand Toulon)

Mère patrie, un appel à la tolérance

Le 14 juillet à Nice, sa mère Fatima fut la première à succomber sur la Prom’. Six mois plus tard, dans le livre Ma mère patrie, Hanane Charrihi raconte sa mère partie et appelle à la tolérance

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

Entrelacée avec sa soeur Latifa, illuminée par le soleil déclinant, Hanane enchaîne les selfies sur les galets de la promenade des Anglais. Du moins, quand son téléphone ne sonne pas et qu’elle n’est pas sur Snapchat. Une jeune femme de son temps, libérée, souriante et bien intégrée. Ainsi se présente Hanane Charrihi, 27 ans, jeune maman niçoise d’origine marocaine, désormais établie en région parisienne. Sa mère, Fatima, fut la première victime à succomber à l’attentat de Nice il y a six mois. Ma mère patrie, anagramme de « ma mère partie » : tel est le titre du livre que publiera jeudi Hanane Charrihi avec Elena Brunet, journalist­e à L’Obs (1). Un ouvrage en forme d’hommage à cette mère pieuse, arrachée à son mari et ses sept enfants. Un plaidoyer pour le vivre-ensemble, destiné à pourfendre certains préjugés.

Comment allez-vous, six mois après cette tragédie ? Il y a des hauts et des bas, des moments de déprime et de joie. Fin décembre, j’ai pris contact avec la Fenvac [Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs, Ndlr] pour la première fois, afin de voir un psychologu­e. D’autres membres de ma famille étaient déjà suivis, mais je n’en ressentais pas trop le besoin jusqu’alors. Le livre m’avait servi de thérapie. Poser les mots m’a beaucoup aidé. A présent qu’il est fini, ça commence à ressortir. Mais il faut tourner la page pour aller de l’avant !

D’où est venue l’envie d’écrire ? C’est venu dès le  juillet. Quand j’ai appris que ma mère était tombée sous ce camion, j’ai eu envie de parler d’elle, pour montrer à quel point c’était une femme bien. Dans les premiers jours, je ne pensais pas à un livre. Puis j’ai sympathisé avec Elena...

La relation de confiance que vous avez nouée vous a décidée ? Parmi les journalist­es, c’est avec elle que le courant était le mieux passé. Quand elle est venue à la maison, elle n’est pas rentrée tout de suite ; elle m’a proposé de filmer dehors, avec beaucoup de respect. Elle m’a tout de suite mise à l’aise. Une amie m’avait suggéré l’idée d’un livre, alors je lui en ai parlé. J’ai commencé par écrire la journée du 14 juillet en me disant : « Comme ça, on s’en débarrasse ! » Puis on s’est revues à Paris. Elena m’a posé des questions, et on a écrit la suite ensemble.

Quel est le sens de ce livre ? C’est à la fois un témoignage, un hommage et un appel à la tolérance. Même si toute mort est difficile à accepter, celle-ci était particuliè­rement brutale. Or on m’a confisqué mon deuil. Le soir-même, un automobili­ste a eu le culot de s’arrêter à la hauteur de notre famille sur la Prom’ et de dire : « Bien fait pour vous ! Cette fois-ci, c’est votre tour. » Quand des gens nous disent : « Ce n’est pas vous qui êtes en deuil », que doit-on penser ? Que nous ne sommes pas des êtres humains ? Que nous ne ressentons pas de peine ? Etant d’origine marocaine et de confession musulmane, vous vous êtes sentie à la fois victime du terrorisme et du racisme ? C’est une double peine. Et c’est malheureux. Un mort reste un mort : qu’importent son origine et sa couleur de peau. On se doit de le respecter car, derrière, il y a une famille endeuillée, des enfants... Même si on déteste les Maghrébins et les musulmans, un minimum de décence s’impose. Fatima, femme musulmane très pieuse, a été la première victime d’un crime prétendume­nt commis au nom de l’islam. Cruel paradoxe ? C’est absurde. Ils prétendent agir au nom de l’islam, mais c’est un prétexte pour ne pas assumer des actes au nom de la folie ! En plus, le monde est petit : c’est un voisin. Son ex-femme et ma soeur étaient très copines à l’école. Quand mes cousins ont su qui c’était, ils se sont rappelés qu’il buvait, qu’il fumait... Pour nous, ce n’est pas un musulman.

A travers ce livre, vous expliquez le cheminemen­t qui vous a conduit à porter le hijab (voile), « par soumission à Dieu et non aux hommes ». Vous semblez ainsi devoir vous justifier... Je ne dirais pas justifier, mais rassurer. Parce qu’on n’entend pas beaucoup la voix des femmes voilées. Je voulais donc donner un exemple, même si je ne suis pas militante. Pour moi, c’est venu à  ans. Ma mère appliquait le hadith du prophète. Quand j’ai commencé à prendre des cours à la mosquée, l’imam nous a dit : « Les actes ne valent que par leurs intentions. » Il fallait donc que cela vienne de nous-même. Ma grande soeur n’est pas voilée, et pourtant ma mère ne lui a jamais rien dit ; ce n’est pas pour autant que Latifa ne pratique pas. Chacun est libre de faire ce qu’il veut.

Quelle image souhaiteri­ez-vous laisser de votre mère ? « Une main de fer dans un gant de velours », comme elle disait ! A la maison, c’était une discipline quasi militaire. Pour notre bien. C’était une éducation tolérante, adaptée au caractère de chacun.

Sa vie témoigne que l’on peut vivre sa foi islamique tout en respectant les règles de société ? En ce moment, surtout avec les élections, on entend souvent parler d’« incompatib­ilité » de l’islam. J’ai voulu y répondre en écrivant : « Je me sens compatible. » Je suis préparatri­ce en pharmacie, j’ai réussi à travailler tout en gardant le voile. J’ai une vie sociale comme tout le monde, j’ai des amis, je sors au resto, j’ai Snapchat et Facebook... Je ne me sens pas de trop. Ma mère nous a poussés à faire des études. Elle nous disait : « Ne dépend pas d’un homme. Trouve ta place. »

Comprenez-vous néanmoins les crispation­s autour de l’islam, particuliè­rement fortes dans notre région, liées à certaines pratiques communauta­ristes ? On ne peut pas plaire à tout le monde. Cela tient à un manque de connaissan­ce, parce qu’on entend parler certains plus que d’autres. Une chose est sûre : on n’apprend pas l’islam avec Google ! Cela doit se faire par transmissi­on orale, avec un professeur qui a étudié.

Moi, je me sens compatible ! ” On n’apprend pas l’islam avec Google ”

Vous critiquez dans votre livre certains élus locaux pour leur gestion de la sécurité, ou leurs prises de position sur l’islam et le burkini. Vous leur en voulez ? Je ne leur en veux pas. Ce qui s’est passé s’est passé. Je veux juste des réponses et être sûre que cela ne se reproduira pas. Comment cela se fait-il qu’il y ait eu une sécurité remarquabl­e dans la fan zone de l’Euro, et bidon le  juillet ? Ça me met en colère car cela s’est passé en plein état d’urgence. Il y a eu un relâchemen­t considérab­le. On ne le digère pas.

Vous écrivez : « Ma vengeance sera de vivre ». C’est la meilleure réponse au terrorisme ? Après un attentat, on a deux choix : plonger, ou accepter et vivre avec. On n’en guérit jamais. Mais on se doit de continuer. Alors oui, ma vengeance c’est de vivre. Je me dois de me relever aussi pour mes deux enfants. Eux, ils n’ont rien demandé...

Concrèteme­nt, comment réaliser ce mieux vivre-ensemble ? Par le savoir ! La plupart des personnes qui se crispent envers l’islam ne le connaissen­t pas. Eviter les divisions, cela passe donc par la pédagogie et le dialogue. Nous sommes en train de créer une associatio­n pour lutter contre la radicalisa­tion. Elle s’appellera justement « Ma mère patrie ». Pour ouvrir les yeux aux jeunes vulnérable­s qui se font facilement monter le cerveau.

1. Ma mère patrie, de Hanane Charrihi et Elena Brunet, Éditions de La Martinière. 120 pages, 12,90 euros.

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(Photo Jean-Sébastien Gino-Antomarchi)

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