La dévitalisation des villes au coeur d’un ouvrage
Le journaliste Olivier Razemon est l’auteur de Comment la France a tué ses villes (1). Il nous livre sa vision du mal qui ronge le coeur d’une large majorité de villes, dont Toulon
Dans votre livre, vous évoquez - entre autres - les difficultés du centre-ville de Toulon... Toutes les villes de France souffrent – à l’exception peut-être des plus grandes métropoles et des cités touristiques. Le symptôme le plus visible de cette crise urbaine, c’est la dévitalisation commerciale.
Qu’entendez-vous par dévitalisation commerciale ? La fermeture des commerces qui prend de plus en plus d’ampleur. On constate aussi, en général, qu’on trouve moins de commerces utiles (boulangerie, boucherie…) et plus d’institutions, type banque et pharmacie, ou de commerces éphémères et/ou superflus (vapotage, or, tatouages…).
N’y a-t-il pas un problème global de transport et de desserte ? En fait, il y a une sousutilisation des transports en commun. Presque partout, on voit des transports publics de qualité, mais qui sont presque vides. La vérité, c’est qu’ils ne sont pas compétitifs par rapport à la voiture individuelle, pour laquelle on continue d’aménager des parkings au plus près des centres ou de permettre de rouler à des vitesses assez élevées. Si les gens étaient davantage incités à prendre le transport en commun, il serait moins déficitaire, ce qui pousserait les collectivités à en créer de plus modernes.
Ici, dans l’agglomération, certains pensent qu’un Transport en commun en site propre (TCSP), type tramway ou BHNS, pourrait redonner du dynamisme à une ville… Ça a marché pour Nice, moins pour Marseille. A Aubagne non plus, où le TCSP est surdimensionné. À l’inverse, on constate qu’à chaque fois qu’un tramway ou un BHNS voit le jour, il y a plus d’usagers. Et puis ça présente quelques avantages indéniables : il prend de la place à l’automobile. Si ça devient moins confortable d’utiliser sa voiture, les gens utiliseront le TCSP… Il y a une vraie concurrence entre les modes.
Vous dites qu’un autre symptôme de la crise urbaine est l’étalement de la ville… Partout, la ville moyenne s’étend bien au-delà de son environnement d’origine. Il y a eu un accroissement de la population, certes, mais cet étalement est surtout occupé par des zones logistiques, des lotissements, des surfaces commerciales…
Les centres commerciaux que vous tenez pour partie responsable de la crise… Chaque année en France, des autorisations sont données pour la construction d’un million de mètres carrés de surface commerciale alors qu’il n’y en a nullement le besoin, que la consommation stagne plus ou moins. Non seulement les spécialistes le disent, mais les enseignes elles-mêmes commencent à reconnaître qu’il faudrait arrêter de construire des centres commerciaux.
Pourquoi les maires ne s’y opposent-ils pas ? On a beaucoup d’élus qui commencent à penser qu’il faudrait peut-être éviter de délivrer ces permis de construire. Mais ce n’est pas simple pour eux de s’opposer. Il y a une pression très forte des grands distributeurs, lesquels expliquent qu’ils vont créer des emplois ici, plutôt que là-bas. Alors que si des emplois sont bien créés, davantage encore sont détruits dans les centres. Par ailleurs, il y a une pression du consommateur pour voir arriver certaines marques.
Que faut-il faire? Il faut arrêter ! Refuser ces permis de construire. Attaquer en commission d’aménagement commercial. C’est aussi au consommateur d’adopter une attitude éthique : préfère-t-il faire vivre un commerçant du coin et sa famille ou avantager de grosses enseignes et leurs actionnaires ? On peut tous agir à notre niveau.
Êtes-vous optimiste ? Deux choses me rendent optimistes : le sujet émerge, d’abord. Il y a une demande générale d’information, de réflexion. On cartographie les phénomènes, on étudie, on va découvrir la ville à pied... Très important ça, découvrir la ville à pied. Il suffit de faire le trajet entre la gare de Toulon et l’embarcadère pour s’en rendre compte : ce n’est pas fléché, ce n’est pas organisé… Il y a tellement de choses à faire.
Et l’autre raison ? Je vois partout des gens très différents qui n’ont pas envie de se laisser faire. Des citoyens, des politiques, des associations pro-vélos, des commerçants… Ils se disent : « Notre ville, on y tient. C’est un endroit de rencontres, un lieu gorgé d’histoire qui doit vivre. » Ce n’est pas rien, une ville. Ça a un sens.
Et confier la revitalisation d’un centre à un grand groupe, ne serait-ce pas une bonne idée ? Ce serait leur rêve, assurément ! N’oublions pas qu’ils ont une tentation monopolistique. Sauf que l’avantage de la ville, c’est la multiplicité d’acteurs. Tout le monde a sa chance, même des magasins indépendants.
Pourquoi, alors que la crise urbaine touche la France entière, aucun candidat à la présidentielle n’aborde le sujet ? Je pense simplement que ces candidats, qui sillonnent la France sans jamais rester plus de quelques heures au même endroit, ne voient pas la ville. Ce n’est pas dans leur radar et c’est une vraie ignorance de leur part.