Transhumanisme: le bel avenir de l’homme?
Fin de l’humanité pour certains, victoire sur le vieillissement pour d’autres : le transhumanisme, en faveur de « l’amélioration » de l’homme, divise. Avis croisés
Trois hommes, trois visions. Le diocèse de Monaco vient de réunir l’ex-ministre français de la Santé Jean-François Mattei, le philosophe Jean-Michel Besnier et le porte-parole de l’Association française transhumaniste, Didier Coeurnelle, pour un débat sur le transhumanisme ou comment « l’homme augmenté » pourrait demain (ou peut-être après-demain…) devenir immortel. Un sujet qui pousse très loin les limites de la médecine, mais aussi de la science, des nouvelles technologies, de l’éthique et des croyances.
Comment définir le transhumanisme ? Didier Coeurnelle : l’objectif est de vivre beaucoup plus longtemps en bonne santé, et ainsi d’aller beaucoup plus loin. L’idée est de mettre fin à l’ensemble des maladies du vieillissement. D’ailleurs, il suffit de prendre modèle sur la nature : Certains animaux, marins notamment – comme les coraux, des anémones de mer ou les baleines boréales – vivent très longtemps.
Le transhumanisme, comme trait d’union entre l’homme et la machine, n’est-ce pas le début de la fin de l’humain ? DidierCoeurnelle:iln’yapas de rupture ; c’est un continuum. Jean-François Mattei : l’homme est préoccupé par les mêmes questions depuis l’Antiquité. Il y a, en cela, une permanence de l’homme. Mais les progrès scientifiques et technologiques font que cette mythologie paraît aujourd’hui atteignable. Le transhumanisme mérite d’être discuté car il génère différents malentendus. J’ai commencé à chercher une définition qui fasse autorité. Il n’y en a pas… À partir de quand peut-on parler de transhumanisme ? Jean-François Mattei : force est de constater qu’il existe des méthodes qui permettent d’améliorer les conditions des gens. Où conduit cette amélioration ? Je n’en sais rien… Jean-Michel Besnier : nous avons rompu avec une définition substantialiste de l’homme sur sa perfectibilité. On pourrait parler d’une transgression. Malgré tout, on a tous encore une représentation de l’humain substantiel. L’homme augmenté, ce n’est évidemment pas l’homme à lunettes qui est, tout au plus, un homme réparé. Mais si l’homme est indéfiniment perfectible, on quitte le strict terrain de l’humanité. Didier Coeurnelle : l’homme réparé, c’est un homme qui Jean-Michel Besnier, philosophe des technologies de l’information et de la communication, voit la santé du futur comme un désenchantement du corps. Pour lui, l’avenir de la médecine risque de rompre la relation essentielle du patient avec son médecin. « Comment les technologies vont nous permettre d’améliorer la morale ou l’empathie ? C’est une idée absurde. Aux États-Unis, les neurobiologistes prescrivent de la Ritaline aux enfants hyperactifs ; on va chercher le médecin comme substitut à l’éducation. Ça me scandalise. Et si la maladie était une façon d’être au monde différente ? Si elle avait une dimension symbolique ? Elle exige pourrait vivre sans limitation de durée. La médecine a toujours eu comme objectif de faire vivre les gens plus longtemps. Les questions posées aujourd’hui sont les mêmes depuis vingt-cinq siècles au moins. On ne s’apprête pas à quitter l’humain.
Mais peut-être à devenir tous des surhommes… Jean-François Mattei : je me sens en accord avec les transhumanistes si par « amélioration » il s’agit de mieux résister. En revanche, quand on lit les doctrines du post-humanisme, cela pose des problèmes scientifiques, financiers, de conception de la société, sur la place respective du corps et de l’esprit. Les vrais enjeux sont là. la vertu de pouvoir parler. Dans ce cas, quid de la relation qui était traditionnellement celle du médecin, qui cherche à expliquer des symptômes ? La médecine clinique est en danger. Les datas prélevées sur vous relèveront de la statistique, par la recherche de corrélation pour établir des diagnostics. Les transhumanistes ne sont pas progressistes. Ils veulent la rupture. Ils disent : « Nous sommes à la veille d’une renaissance. » Mais ce n’est pas le siècle des Lumières. La renaissance symbolise le rejet de ce qu’il y a eu avant. Ce qui m’effraie dans le transhumanisme c’est que vivre, c’est survivre. Les transhumanistes veulent en finir avec l’humain. » Demain tous beaux, grands, agiles et performants... N’est-ce pas illusoire ? Jean-François Mattei : l’athlète sud-africain Oscar Pistorius, amputé des deux jambes, est l’exemple même de celui passé de la réparation à l’amélioration… Didier Coeurnelle : le transhumanisme va permettre d’améliorer l’être humain, c’est-à-dire sa longévité, mais aussi ses valeurs morales, cognitives et sa compassion. Ce sera comme la vaccination. À terme, tout le monde y aura accès, même si, dans une phase transitoire cela va être accessible aux riches uniquement. L’objectif n’est pas d’obliger mais de permettre.
Jean-Michel Besnier : « Les transhumanistes veulent en finir avec l’humain »
Porte-parole de l’Association française transhumaniste, Didier Coeurnelle n’en finit pas d’être optimiste et enthousiaste. Son impatience : qu’on en finisse avec le vieillissement… « Dans le transhumanisme, il y a d’abord le mot “humanisme”. Aujourd’hui, 90 % des personnes meurent du vieillissement. L’objectif des transhumanistes est de ne plus mourir des maladies liées à ce vieillissement. Aujourd’hui, c’est le plus beau jour de l’histoire de l’humanité. Jamais nous n’avons vécu aussi longtemps et en aussi bonne santé. Jamais les enfants qui naissent n’ont été aussi bien éduqués. Jamais nous n’avons eu accès à autant de biens de consommation. Mais c’est aussi le jour le plus dangereux. Aujourd’hui la vie s’arrête à 122 ans. En durée de vie extrême, on a à peine progressé. Il y a une arrogance à se croire comme être humain parfait. » Le point de vue de Médecin Ancien ministre de la Santé