Profonde refonte : toute une demi-vie devant lui
Àvoir le porte-avions nucléaire toujours solidement amarré à son appontement Milhaud 6, à l’opposé des bassins Vauban, on pourrait croire que le deuxième arrêt technique majeur (ATM 2) du Charles-de-Gaulle n’a pas encore débuté. Si les ingénieurs, techniciens et ouvriers de DCNS Toulon, l’industriel en charge de la maîtrise d’oeuvre, ne sont effectivement pas encore à bord, l’équipage, lui, est à pied d’oeuvre depuis son retour à Toulon mi-décembre. Et termine la phase de préparation organique. Pour réduire au maximum les risques d’accident industriel, les munitions ont ainsi été débarquées, les soutes à carburant vidées et ventilées, les deux réacteurs nucléaires mis en « arrêt à froid ». Par ailleurs, tout un tas d’équipements sont d’ores et déjà débranchés. Même les cuisines ne tournent plus. Mais dans les faits, quand on discute avec les responsables de ce gigantesque chantier à 2,5 millions d’heures de travaux, pour environ 1,3 milliard d’euros, on s’aperçoit que le grand carénage du navire amiral de la Marine nationale a commencé bien avant ce mois de février 2017. L’ingénieur en chef de l’armement François (1), directeur de programme ATM2 à la DGA (Direction générale de l’armement), n’en fait pas mystère. « Vu l’ampleur des refontes, des équipes de la DGA, de la Marine et de DCNS travaillent à cet ATM 2 depuis 2011. » Un chiffre illustre parfaitement la lourde tâche qui attend les quelque 2 000 personnes qui travailleront à refaire une beauté terrifiante au Charles-de-Gaulle : 200000 opérations sont prévues, contre « à peine » 80 000 lors du premier grand carénage effectué en 2007-2008. Le temps d’indisponibilité, lui, reste le même, à savoir 18 mois. Ce qui fait dire à Jean-Luc Hamon, également directeur du programme porte-avions, mais chez DCNS : « Ce chantier est un sacré défi, mais un défi passionnant pour nos équipes ». Même le service de soutien de la flotte (SSF), le maître d’ouvrage, qui s’est plutôt penché sur la partie entretien classique du navire, a dû s’y prendre à l’avance. Ne serait-ce que pour commander les rechanges. « Environ 10 000 matériels et équipements vont subir des opérations de maintenance. Les marchés pour les rechanges ont été passés dès 2013», précise Jean-Christophe Casanova, le responsable des opérations chez SSF Toulon. On l’aura compris : ce deuxième grand carénage est tout sauf une copie du premier. D’ailleurs, même le nom a été changé. L’indisponibilité périodique pour entretien et réparation (Iper) d’il y a 10 ans s’est muée en arrêt technique majeur. « La conception du porte-avions date des années 1980 et la technologie de nombre de ses équipements des années 1990. On peut
Ce chantier est un sacré défi ”
Ilyades obsolescences à traiter ”
parler d’obsolescences. C’est le cas par exemple du système optique d’appontage, le “miroir” utilisé par les pilotes pour poser leurs avions. Il date du Clemenceau et va être remplacé par un système moderne lors de ce chantier. Il s’agit de redonner du potentiel au Charles-de-Gaulle jusqu’à sa fin de vie », déclare l’ingénieur en chef de l’armement François. Parmi les systèmes les plus importants à remettre au goût d’après demain : le Senit 8. S’il reste performant, le système de combat du porte-avions français, qui permet aux radars de détection, systèmes de contre-mesures et missiles de défense de fonctionner harmonieusement ensemble, a pris un petit coup de vieux. «De nombreux capteurs vont être changés. Certaines fonctions vont être rajoutées. Du coup, de la réécriture de codes a été nécessaire. On va également transférer tout le système sur PC », détaille l’ingénieur en chef François. Pour éviter toute mauvaise surprise, tout a déjà été testé grandeur nature à partir de la plateforme d’intégration à terre située à Saint-Mandrier. Même le risque grandissant de cyberattaque a été pris en compte. Cet ATM va également être l’occasion de passer réellement au tout Rafale. Si le Super Étendard modernisé a tiré sa révérence au retour de la mission Arromanches 2, en revanche il restait encore à bord des bancs d’essai dédié à l’ancien appareil. « Ils vont être retirés. Le nombre d’aires de maintenance pour les M88, les réacteurs du Rafale, va ainsi passer de deux à quatre », explique le monsieur Charles-de-Gaulle de la DGA. Du remplacement des radars de navigation et de veille aérienne, au renouvellement du réseau de communication – quelque 200 km de câble et de fibre optique vont être tirés ! – en passant par la refonte du système de surveillance centralisé du navire, la liste des modernisations est encore longue. À celle-ci, s’ajoutent les opérations de maintenance classique. «En 15 ans d’activité, le porte-avions vient de connaître la période la plus intense de sa vie : 14 mois à la mer au cours des deux dernières années », précise d’entrée Jean-Christophe Casanova. Autant dire que le géant des mers est un peu sur les rotules. L’opération la plus délicate est de loin le rechargement en combustible des coeurs des deux réacteurs nucléaires. Mais la réfection complète de la coque représente également un travail de titan, avec la visite de 150 vannes et 36500 m2 à repeindre, pont d’envol inclus. Et puisqu’on parle aviation, le Système automatique de tranquillisation et de pilotage, qui donne au Charlesde-Gaulle une incroyable stabilité à la mer, va également être entièrement révisé. Le mot de la fin à Jean-Luc Hamon : « Vu l’importance du chantier, non seulement Toulon, mais tous les établissements de DCNS sont mobilisés ».
Tous les établissements de DCNS sont mobilisés ”
1. Pour raison de sécurité, seuls les prénoms des militaires sont désormais communiqués