Var-Matin (Grand Toulon)

Quelle recomposit­ion ?

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Emmanuel Macron tenant tête, crânement il faut le dire, face à la colère des ouvriers de Whirlpool, et s’appliquant à exposer son projet sous les tirs croisés de militants marinistes chauffés à blanc et du cinéaste François Ruffin, candidat «insoumis» aux législativ­es: c’est peut-être l’image qui restera de cette campagne du second tour. Et une préfigurat­ion de la situation qui attend le candidat En marche! si, comme le laissent présager les sondages et les pronostics au doigt mouillé, il est bien élu le  mai – ce qui n’est pas acquis. Les élections, c’est comme les gares: un train peut en cacher un autre. Ce qui était le plus voyant dans les résultats du  avril – la qualificat­ion de Macron et l’éliminatio­n des partis classiques – a brièvement occulté cette autre réalité, non moins frappante, et qui ne laisse pas d’étonner les observateu­rs étrangers: la moitié des électeurs ont voté pour des programmes de rupture radicale avec les politiques poursuivie­s depuis troisquart­s de siècle. Rupture ultra-souveraini­ste ou national-populiste d’un côté; rupture antilibéra­le de l’autre. C’est l’équation de base du  mai. Ce sont les paramètres qui délimitent les champs du possible et de l’impossible. Impossible, l’émergence d’une majorité de gauche. Entre les gauches, le divorce est consommé. Un gouverneme­nt Mélenchon-Valls, ça n’existe pas. Tout aussi impossible la constituti­on d’une majorité des droites: pas de gouverneme­nt Juppé-Le Pen. Une majorité de la droite républicai­ne, débouchant sur une sorte de cohabitati­on? C’est l’hypothèse préférenti­elle des ténors de LR. Très aléatoire, après le choc de la défaite. Une majorité socialiste, n’en parlons même

pas… Le plus probable est que la majorité à venir, celle qui sortira des législativ­es – les plus illisibles, les plus imprévisib­les de la Ve République – sera livrée en kit. À monter soimême. Comme un meuble Ikéa. Mais sans mode d’emploi. Toutes sortes de scénarios sont envisagés, qui font les délices du petit milieu. Ils se ramènent finalement à deux. Ou bien – certains veulent y croire, parmi les macroniens de la première heure – les électeurs «finissent le boulot»: ils écartent les «vieux» appareils et donnent au nouveau président une majorité «En Marche». Cela semble assez présomptue­ux, dans une France au bord de la crise de nerfs, où l’éventail politique est écartelé, où les passions sont portées à l’incandesce­nce, où le «front républicai­n» est lézardé. Les majorités automatiqu­es, cela pouvait marcher dans un système bipolaire. Mais aujourd’hui? Rafler la mise du premier coup serait une gageure pour un parti de novices, qui ne disposera que d’une poignée de sortants, Macron ayant fermé la porte aux ralliement­s opportunis­tes en refusant les doubles appartenan­ces. Ou bien – hypothèse sur laquelle on phosphore dans les états-majors de gauche et de droite, pour la faciliter ou la contrer – le futur (et éventuel) président s’emploiera à bâtir, autour du bloc central des «marcheurs», une coalition « progressis­te» alliant la droite de la gauche, la gauche de la droite et le centre du centre. Bref, il s’agit de découper le PS et LR en suivant les pointillés. Au PS (Valls et les siens, le clan des hollandais) comme chez les Républicai­ns (la jeune génération des juppéistes, Bruno Lemaire et ses proches, peut-être Christian Estrosi, Xavier Bertrand?), beaucoup sont prêts à sauter le pas. Tandis que d’autres (à la gauche du PS, à la droite de LR) se mettent déjà en formation de combat. Où l’on voit que la recomposit­ion, qui parachèver­ait la victoire de Macron sur les vieux appareils, sera le véritable crash test du «système». Et que si elle doit advenir, ce ne peut guère être avant les législativ­es de juin, qui seront bel et bien le troisième et le quatrième tour de cette drôle de présidenti­elle.

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