Comment les députés du Var ont bâti la République
Lorsqu’en 1792, les troupes révolutionnaires françaises du général Anselme franchissent le Var, le sang de Joseph Tordo, natif de Tourrette-Levens, ne fait qu’un tour. Il ne va pas laisser envahir son beau comté de Nice, sans réagir. Il s’engage alors dans l’armée du royaume de PiémontSardaigne. Ce grand jeune homme fougueux s’illustre en 1793 en combattant à Gilette, au-dessus de la plaine du Var, village sarde qui vient d’être pris par l’armée française. Il s’empare d’un drapeau français bien qu’ayant été blessé à la tête d’un coup de sabre. En 1795 et 1796, il est à nouveau blessé par deux fois, lors de deux attaques dans le Piémont, à Mondovi et Vinadio. L’armée sarde finit par être vaincue. Les places fortes du Piémont, dont Cuneo, se rendent, suite à l’armistice de Cherasco, le 15 mai 1796.
Il se range aux côtés des révolutionnaires
En deux semaines, Napoléon Bonaparte a fait plier le royaume de Piémont-Sardaigne, ce que d’autres n’avaient pas réussi à faire en quatre ans. Alors, Joseph Tordo, retournant sa veste – ou plutôt son bel uniforme de lieutenant – change de camp et se met à défendre les idées révolutionnaires et républicaines françaises. Avec l’aide de son ami Jean-Dominique Rusca, originaire de La Brigue dans la vallée de la Roya, futur général d’Empire, il organise une milice qui, bientôt, atteint sept mille hommes. On la nomme « L’ Armée infernale ». Elle effraie tout le monde. À tel point que les autorités françaises de Nice s’inquiètent de ses agissements excessifs et de l’importance personnelle qu’il prend. Elles lui enjoignent de cesser. Il refuse. Face à sa désobéissance, elles menacent de l’arrêter. De son côté, le gouvernement piémontais a mis sa tête à prix : 1000 francs de récompense ! Voilà Joseph Tordo traqué à la fois par les polices françaises et piémontaises. Il n’y a plus qu’une solution : s’échapper. Vite. Une maîtresse niçoise lui fournit les habits féminins qui lui permettront de se déguiser et de gagner ainsi Gênes sans être reconnu. À partir de ce moment, sa vie se feuillette comme un roman d’aventure. Le voici à Milan aux côtés du général Brune, attaquant l’armée autrichienne. Il est blessé et emprisonné à Graz. Une fois libéré, le voilà commandant la place forte de Ravenne. Le 6 janvier 1804, le revoilà en Autriche avec son vieil ami Rusca s’attaquant à la forteresse imprenable de Klagenfurt. Pris d’un coup de folie, il s’élance seul à l’assaut du mur, est accueilli en haut par des ennemis qui s’apprêtent à l’égorger. Heureusement, quelques-uns de ses soldats impressionnés par sa bravoure, l’ont suivi et arrêtent la lame du sabre au moment où elle va lui trancher le cou.
Décoré par Napoléon Bonaparte
Napoléon Bonaparte se trouve au château de Schönbrunn, à Vienne, le 4 juillet 1809, en train de préparer les plans de la bataille de Wagram – l’une de ses batailles les plus célèbres contre les Autrichiens – lorsqu’on frappe à sa porte. - Majesté, un soldat français vient vous apporter un message du front de l’ouest ! - Qu’il entre ! C’est Tordo. Assaillant ou porteur de dépêches, il aura tout fait ! L’empereur le décorera de la Légion d’honneur. En 1810, le voilà en Espagne, à Tarragone, combattant aux côtés du général corse Orsatelli, puis en 1814 aux côtés de l’ex-roi de Naples Joachim Murat, beau frère de Napoléon. Murat le nomme général. Lorsque l’Europe est devenue trop petite pour lui, Joseph Tordo franchit la Méditerranée et se lie d’amitié en 1830, en Égypte, avec le pacha Soliman. Il entre dans la garde royale. C’est à Alger qu’il achèvera sa vie en 1846. Il y a été nommé inspecteur des travaux du port. Le 2 février 1839, un coup de vent le précipite à l’eau. Un dénommé Brunn plonge et le sauve. Lorsque, quelque temps après, il découvre Brunn comparaissant devant le tribunal d’Alger pour avoir commis un vol. Il le fait acquitter. Tordo avait aussi des talents d’avocat ! Tourrette-Levens, son village natal, va l’honorer cet été. Le maire Alain Frère fera exposer son pistolet et son sabre, qui lui ont été récemment remis par les descendants du bouillant général, afin qu’on se souvienne de ses actes héroïques et de son désir de liberté.