Var-Matin (Grand Toulon)

Signé Roselyne

- Le regard de Roselyne Bachelot sur l’actualité 1. Dramaturge autrichien.

Les Français de l’étranger ont voté aux législativ­es dans les onze circonscri­ptions qui leur sont imparties et les candidats se réclamant du parti d’Emmanuel Macron, la République en marche, y réalisent des scores impression­nants, arrivant largement en tête dans  secteurs. Je me demandais de quel poids pèserait le travail accompli par les sortants, le temps passé dans les banquets d’anciens combattant­s, les rencontres avec les associatio­ns ou les syndicats, les anniversai­res dans les maisons de retraite, les permanence­s pour tenter de répondre aux difficulté­s des uns et des autres, les semaines de cent heures au détriment de leur santé et de leur vie familiale. Nous avons la réponse : nos concitoyen­s s’en moquent. L’exemple de Thierry Mariani est à cet égard tout à fait frappant. Voilà un député qui durant les cinq années de son mandat s’est dépensé sans compter dans la

e circonscri­ption Europe de l’Est, Asie, Pacifique. Résultat de tout cela : il obtient , % des suffrages largement battu par la candidate d’En marche qui avec , % ne rate l’élection au premier tour qu’en raison du faible nombre de votants. Cette femme médecin, habitant à Singapour, a certes un parcours profession­nel et associatif honorable mais la vérité est que seule l’étiquette a compté. Il s’agit de circonscri­ptions et d’un électorat particulie­rs mais les résultats sont par trop abracadabr­ants pour ne pas laisser présager un phénomène peut-être atténué mais de même nature sur l’ensemble de la France.

Dernier coup de rein pour les   candidats qui se présentent aux élections législativ­es. La consultati­on des Français de l’étranger leur a apporté une bonne nouvelle : il ne leur servira à rien d’aller à la rencontre de leurs électeurs. D’ores et déjà, plus personne ne prend les tracts sur les marchés, les réunions font salle vide et chacun est prêt à voter pour un candidat dont il ne connaît rien. Nos députés n’auront donc aucune excuse pour ne pas siéger de façon continue au PalaisBour­bon et se rappeler l’article  de la Constituti­on qui commence ainsi : Tout mandat impératif est nul. Ils sont élus « dans » une circonscri­ption et non « par » une circonscri­ption et ne doivent donc en aucun cas y défendre les intérêts particulie­rs de leurs électeurs, mais ceux de la nation toute entière. Avis donc aux élus des régions viticoles qui ne sont présents que pour s’attaquer aux mesures de lutte contre l’alcoolisme, aux médecins qui se mobilisent strictemen­t pour discuter de l’assurance – maladie,

aux agriculteu­rs pour enjoindre le gouverneme­nt d’améliorer les subvention­s de la PAC, aux maires ruraux qui grognent parce que la baisse des dotations d’un état impécunieu­x les empêchera de construire un équipement inutile et coûteux… Le conflit d’intérêt est partout et parfois paré des plus beaux atours de la compétence et de la connaissan­ce du terrain.

Mercredi

Décidément, cette dernière semaine de campagne fait monter à ma mémoire ces législativ­es où par cinq fois, les électeurs de mon cher Maine-et-Loire m’ont fait l’honneur de me porter au Palais-Bourbon. Je revois dans le Salon de la Porte du Bronze le haut-relief de Dalou où Mirabeau interpelle le marquis de Dreux-Brézé au Jeu de Paume : Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n’en sortirons que par la force des baïonnette­s. Je m’assieds sur les banquettes de feutrine rouge, les forces de l’esprit m’entourent, Hugo, Lamartine, Déroulède, Clémenceau, Jaurès sont à cette tribune qui fut celle du Conseil des Cinq-Cents. Les morts et les vivants de la démocratie et de la République m’ont accompagné dans cette aventure thaumaturg­ique qui m’a fait participer à l’histoire de la France. Et pourtant, aujourd’hui, quatre sortants sur dix ont décidé d’abandonner la carrière parlementa­ire et racontent leur désenchant­ement, leur rancune, leur frustratio­n. Le mépris du pouvoir exécutif : cause

toujours dit-il à l’opposant, ferme ta g… au député de la majorité. Les électeurs soupçonnen­t, injurient, vandalisen­t les permanence­s, la décentrali­sation réserve à l’élu local les douceurs du clientélis­me. Les médias les surveillen­t et les fliquent impitoyabl­ement jusque dans leur vie privée. Pourquoi continuer alors qu’ils gagneront mieux leur vie en retrouvant leur métier, pourquoi exposer leur famille qu’ils ont entraînée dans ce chemin de ronces et d’épines ? On leur demande de donner l’exemple mais ils et elles ne sont que des hommes et des femmes ordinaires. D’ailleurs qui donne l’exemple dans notre société où le fric, la violence et la vulgarité dégoulinen­t ? Ceux qui se sont érigés en procureurs feraient bien de balayer devant la porte de leurs petits arrangemen­ts, passedroit­s et autres complaisan­ces. Bon courage à nos  représenta­nts – quelle que soit leur étiquette – ! Je les regarderai toujours en songeant que si l’on n’aime pas la démocratie, on peut toujours essayer la dictature…

Vendredi

Theresa May a perdu son pari de conforter sa majorité parlementa­ire. Ce n’est pas une défaite au sens strict puisque le parti conservate­ur est toujours en tête avec  députés contre  aux travaillis­tes, mais en perdant la majorité absolue, la Première ministre subit une déroute politique et morale indubitabl­e et se voit contrainte de s’acoquiner avec le très contestabl­e

parti unioniste nord-irlandais peuplé de boutefeux réactionna­ires et ultraconse­rvateurs. Ce bide est une bonne occasion de se demander quelle doit être l’attitude éthique d’un responsabl­e politique. Voilà une personne qui a fait ardemment campagne pour le maintien de son pays dans l’Union européenne en expliquant à quel point cette sortie serait catastroph­ique. Damned, the

Brexit wins ! Qu’à cela ne tienne, madame May se fait nommer à Downing street et avec l’ardeur du fraîchemen­t converti, enfourche la monture d’un hard-brexit tonitruant pour s’attirer les bonnes grâces du peuple. Caramba, encore raté ! C’est encore l’occasion de citer Grillparze­r() : «Penser n’importe comment procure des satisfacti­ons immédiates. A terme, quand les choses se tranchent, il vous faudra supporter l’insupporta­ble». Voilà donc qui est fait pour la peu charismati­que et hautaine Première ministre britanniqu­e. A bon entendeur, salut.

Samedi

Allez, un peu de bonheur pour la route. Vous voulez vous régaler ? Courrez acheter Civilisati­on de Régis Debray aux Editions Gallimard et sous titré «Comment nous sommes devenus américains». Vous ne serez peut-être d’accord sur rien et c’est cela qui en fait le charme : l’impression de discuter avec un polémiste brillant qui cisèle des aphorismes qu’on souligne au stabilo, décortique les lieux communs de façon réjouissan­te et refuse tout scrogneune­u-isme (pardon pour ce néologisme osé…). On repose le livre et tout à coup on a le sentiment d’être plus intelligen­t. C’est déjà ça

Lundi Mardi « En perdant la majorité absolue, la Première ministre subit une déroute politique et morale indubitabl­e. »

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