Var-Matin (Grand Toulon)

- : ils ont bâti la République

Au moment de la Révolution, trois assemblées ont préparé l’instaurati­on de la République. Les députés du Var y ont pris part, à une époque où les Alpes-Maritimes n’existaient pas.

- ANDRÉ PEYREGNE

À quand remonte la première Assemblée nationale ? Au 17 juin 1789. Les États généraux avaient été convoqués à Versailles par le roi Louis XVI, composés de trois groupes : le clergé, la noblesse et le tiers état. Ce jour-là, l’abbé Joseph Sieyes, de Fréjus, qui faisait partie du tiers

état, proposa que ce groupe « qui représenta­it 96 % du peuple français », s’érige en «Assemblée nationale ». Il fut suivi. Des nobles tels La Fayette se rallièrent à lui. Le roi Louis XVI avait convoqué les États généraux à partir du 5 mai 1789 pour essayer d’enrayer la colère qui montait dans le pays. Partout, la révolte grondait. Dans notre région – qui, à l’époque, s’arrêtait au fleuve Var, le comté de Nice appartenan­t au royaume de Piémont-Sardaigne – les émeutes se multipliai­ent. Les circonstan­ces étaient dures : l’hiver avait été rude, les oliviers avaient gelé, la fin de la guerre en Amérique avait réduit les activités de l’arsenal de Toulon. Le 23 mars, à Toulon, le carrosse de l’évêque avait été jeté à l’eau. Comme à Hyères, l’hôtel de ville avait été saccagé, les réserves de blé pillées. À Brignoles, les paysans, les tanneurs, les femmes d’ouvriers s’étaient ligués pour exiger des remises de dettes de la part des créanciers. Les manifestat­ions d’ouvriers, à Grasse – qui faisait partie du départemen­t du Var – avaient été soutenues par les ouvriers piémontais. Partout, des châteaux avaient été dévalisés. Notre région élit donc ses seize représenta­nts pour les États généraux de Versailles. Le corps électoral était composé d’hommes de plus de 25 ans figurant sur les listes des impôts. Sur les seize représenta­nts, quatre appartenai­ent au clergé, quatre à la noblesse, huit au tiers état.

Les Varois rédigent leurs cahiers de doléances

Les élections ont lieu dans les deux circonscri­ptions de Toulon et de Draguignan. Pour le clergé sont élus les curés de Grasse, Callian, La Farlède et Barjols. Pour la noblesse, le comte Louis Le Clerc de Lassigny de Juigné, natif de Lorgues, le marquis Louis La Poype-Vertrieux, 68 ans, ex-capitaine du port de Toulon, le maréchal Michel de Vialis, directeur des fortificat­ions de Provence, et le vicomte Rafélis de Brovès (village qui environ 200 ans plus tard, en 1970, sera vidé de ses habitants lors de la constructi­on du camp militaire de Canjuers). Pour ce qui est du tiers état, nos huit élus sont pour la plupart avocats ou commerçant­s (lire ci-dessous). Parmi eux se trouvent Barthélémy Sieyes, natif de Fréjus, frère du célèbre abbé qui, lui, a été élu à Paris. Pour préparer les États généraux, partout dans le départemen­t ont été rédigés des « Cahiers de doléances » que nos représenta­nts sont chargés d’amener avec eux à Versailles. Le « Cahier » de Toulon ne comprenait pas moins de sept chapitres et quatre-vingt-quinze articles. Le 4 mai 1789, trompettes et tambours sonnent le début des États généraux à Versailles. Une procession a lieu dans les rues de la ville, suivie d’une « messe du Saint-Esprit ». Le 5 mai, les débats sont ouverts par un discours du roi. Très vite, jour après jour, on comprend que les réformes seront impossible­s. Les rouages du royaume de France sont grippés. C’est ce qui pousse l’abbé Sieyès à créer le 17 juin la première Assemblée nationale. Cette assemblée se réunit, en dehors des États généraux, dans la salle du Jeu de paume. Les députés font serment « de ne pas se séparer avant d’avoir rédigé une nouvelle constituti­on». C’est ce qu’on a appelé le « Serment du Jeu de paume ». Menacé d’expulsion par le roi, Mirabeau prononce cette phrase historique : « Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n’en sortirons que par la force des baïonnette­s ».

On se bat dans les églises

Les événements se précipiten­t. Le 14 juillet 1789, la Bastille est prise. La Révolution est en marche. À Toulon, l’amiral Albert de Rioms, commandant des forces navales, est séquestré par les révolution­naires pour avoir défendu aux ouvriers de l’arsenal de porter la cocarde tricolore. Les partisans et adversaire­s toulonnais de Louis XVI s’empoignent. Il y a sept morts. On se bat dans les églises.Nos représenta­nts aux États généraux sont revenus dans le Var. À part le comte Louis Le Clerc de Lassigny de Juigné et le vicomte Rafélis de Brovès qui sont restés à Paris, faisant tous deux partie de la garde rapprochée du roi et de la reine. Bientôt, ces derniers ne seront plus députés car, à l’été 1791, la nouvelle constituti­on est écrite par l’Assemblée et ne prévoit plus la présence de députés du clergé et de la noblesse. De nouvelles élections doivent donc avoir lieu. Le scrutin se déroule du 29 août au 5 septembre. Le mode de suffrage est « censitaire », c’est-à-dire ouvert aux citoyens ayant payé des impôts supérieurs à un seuil appelé «cens». Parmi les députés élus dans le Var, il n’y aura aucun conservate­ur. Tous sont républicai­ns. Parmi eux, deux deviendron­t célèbres et accéderont à la présidence de l’Assemblée: Maximin Isnard, de Grasse, et Honoré Muraire, de Draguignan. Les autres députés étaient de Toulon, Brignoles, Hyères, Saint-Maximin.

Malgré la Révolution et l’élection de cette nouvelle Assemblée nationale, la France demeure sous régime monarchiqu­e. Louis XVI est toujours officielle­ment au pouvoir. Mais plus pour longtemps.

Deux Varois tués à Paris

Le 10 août 1792, le peuple envahit le Palais royal des Tuileries à Paris et l’Assemblée nationale destitue le roi. Lors de l’attaque des Tuileries, les deux nobles du Var, le comte Louis Jean-Baptiste Le Clerc et le vicomte Jean-François de Rafélis, sont tués – ce dernier étant massacré à coups de baïonnette sur les marches de l’église Saint-Roch, proche du Palais royal. À Toulon, la prison est forcée, les royalistes qui s’y trouvent sont massacrés. L’amiral, commandant la flotte toulonnais­e, est tué. Partout ont lieu des exactions. Le châtelain de La Motte et sa femme sont assassinés, de même que deux prêtres à Antibes – commune qui faisait partie du départemen­t du Var. La France étant sans roi, une nouvelle constituti­on doit être rédigée et la République créée. De nouvelles élections législativ­es auront donc lieu. Les troisièmes en trois ans. L’assemblée des députés prendra le nom de Convention nationale. Le scrutin se déroule le 26 août 1792, pour la première fois au suffrage universel masculin (lire en encadré ci-dessus). Tous les élus varois seront républicai­ns : trois modérés, dont Isnard, et cinq révolution­naires, issus de Grasse, Toulon, Draguignan, Saint-Tropez, Tourves. Parmi ces derniers, figure quelqu’un qui fera beaucoup parler de lui par la suite comme sanguinair­e administra­teur du Var : Paul Barras. C’est par la petite porte qu’il est entré à l’Assemblée nationale. Il n’a, en effet, été élu que comme député supplément­aire et n’a dû sa place qu’au retrait d’un autre élu. En février 1793, le départemen­t des Alpes-Maritimes est créé, après que Nice et son comté ont été envahis par l’armée française. Le 17 avril, ce nouveau départemen­t envoie ses députés à la Convention nationale. Cette fois-ci, l’assemblée est au complet. C’est la troisième depuis le début de la Révolution. Ce sera la première de la Première République. Depuis, plus de deux siècles d’assemblées ont suivi. Les Français sont en train d’écrire la suite, aujourd’hui et dimanche prochain.

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(Photos DR) Le serment du Jeu de paume marque une avancée vers la première République. Les nobles varois Louis Le Clerc et Jean Rafélis originaire de Broves, commune varoise qui n’existe plus aujourd’hui n’auront plus leur place dans la nouvelle assemblée qui...
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(Photo DR) Le fort Lamalgue à Toulon servit de prison pendant la Révolution.

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