Macro-techno
Il ou elle a la cinquantaine ou un peu plus – la trentaine pour les secrétaires d’Etat. Il ou elle est bardé(e) de diplômes (ENA, HEC, doctorat des universités…). Il ou elle a derrière lui (elle) une riche carrière professionnelle, dans le public ou le privé, et parfois l’expérience de l’action gouvernementale, mais dans l’ombre des cabinets. Quatre seulement avaient déjà été ministres avant le mai. Lorsqu’il (elle) a un passé politique dans le monde d’avant, et a exercé des mandats électifs, il (elle) n’a jamais joué les seconds rôles. Hormis Le Drian et Le Maire, aucun, pas même le baron lyonnais Gérard Collomb, ne peut être qualifié, selon l’expression consacrée, de ténor de la vie politique. Ainsi peut-on décrire à grands traits le gouvernement Philippe II que l’on a vu poser, hier, dans les jardins de l’Elysée, dans un désordre étudié, fort peu protocolaire, qui évoquait assez l’état-major d’une start up de Palo Alto. Une photo dit beaucoup. Celle-ci affiche clairement les intentions qui ont présidé à sa composition. Un gouvernement de renouvellement et non d’alternance – avec même une forte nuance de défiance, voire de dédain, pour tout ce qui pourrait incarner le « système » d’avant. Des ministres choisis pour leur compétence et leur expérience professionnelle plutôt que pour leur poids politique. On est loin de l’alchimie des gouvernements Hollande, où le poids des tendances et sous-tendances était mesuré avec une balance de pharmacie ! Loin aussi des équipes sarkozystes, qui sacrifiaient volontiers aux exigences de la com’ et du casting. La plupart des entrants étaient inconnus du grand public il y a quarante-huit heures. Sans doute, les équilibres internes (hommes-femmes, gauchedroite, Marcheurs historiques et macroniens convertis, société politique et société civile) ont fait l’objet de réglages très politiques. Mais ce qui frappe, et tranche avec la pratique habituelle, c’est que la composition de l’équipe ne doit rien aux négociations d’appareils. Tous ceux qui sont là le sont du fait du prince. On pouvait imaginer qu’une place serait faite à telle ou telle figure éminente du courant « constructif ». Ou à tel socialiste macrocompatible qui pourrait entraîner une partie du groupe PS. C’est non. Si deux représentantes du MoDem entrent au gouvernement, leur influence ne se compare pas à celle du trio Bayrou-de Sarnez-Goulard. C’est plutôt, pour Emmanuel Macron, une bonne manière faite à Bayrou, et une façon de solder sa dette. Cela ne l’engage guère. Au fond, le président s’accommode fort bien de la crise ouverte par l’affaire des assistants parlementaires : elle le libère d’un allié indocile (il l’a assez montré) et lui permet de larguer les amarres avec le « monde ancien » dont Bayrou était le survivant. Gouvernement techno ? Disons plutôt macro-techno. Synthèse du présidentialisme « jupitérien » que veut instaurer Emmanuel Macron, et de l’inspiration technocratique qui s’illustre tant dans le choix des ministres que dans la composition des cabinets – l’Elysée y a veillé. Jamais les grandes écoles n’ont été à pareille fête. Derrière la mise au piquet du « système », c’est une République des forts en thème (ou en math) qui se dessine. Une philosophie du gouvernement fondée sur l’expertise et la maîtrise des dossiers, tenues pour gages d’efficacité, par opposition aux tares supposées du « régime des partis », comme disait de Gaulle. Macron président ne veut ni couac ni fronde. Il a trop a vu, sous Hollande, les ravages que causent les divisions et les calculs de carrière. Il compte que sa société civile le restera et que l’équipage qu’il a recruté à sa main se montrera dévoué et discipliné. Reste à savoir comment il tiendra la mer. Quand vient le gros temps et que la majorité tangue, il n’est pas sûr qu’un ministre techno, si compétent soit-il, fasse autant le poids qu’un politique d’expérience, disposant d’une surface personnelle et plus : de cette qualité rare qui ne s’apprend pas dans les écoles et qu’on nomme sens politique.
« La plupart des entrants étaient inconnus du grand public il y a quarante-huit heures. »