Var-Matin (Grand Toulon)

Seborga, détachée du comté de Nice pour un impayé de 

- ANDRÉ PEYREGNE

Lorsqu’on franchit la frontière italienne à Menton et que l’on parcourt sur une vingtaine de kilomètres la route dominant les cités maritimes de Vintimille et de Bordighera, un village apparaît au flanc d’une colline, au sommet duquel se dresse un clocher baroque. Il y a beaucoup de villages semblables dans ce coin de l’Italie. Mais celui-ci n’est pas comme les autres. Au bout de la route sinueuse qui y mène, apparaît un panneau: «Bienvenue dans la Principaut­é de Seborga ». On pénètre en effet dans un petit État qui se veut indépendan­t. Ce territoire de 14 kilomètres carrés, dont la population ne dépasse guère trois cents habitants, a proclamé son autonomie en 1963, en prétextant un vice de forme dans son acquisitio­n, en 1729, par le duc de Savoie et roi de Piémont-Sardaigne, VictorAméd­ée II. Le duc n’aurait jamais versé l’argent dû pour son achat ! L’histoire de Seborga remonte à la fin du premier millénaire. À cette époque, la partie est de notre région « Dali happening » à Sainte-Maxime est placée sous l’autorité des comtes de Vintimille. Leur comté s’étend de Monaco à San Remo, au sud, et remonte jusqu’à Tende, au nord. En 954, le comte de Vintimille cède Seborga aux puissants abbés des îles de Lérins. Ils en font une principaut­é ecclésiast­ique avec, à sa tête, un prince-abbé élu. Selon certains historiens, il s’agirait de la première monarchie constituti­onnelle au monde. Huit siècles d’indépendan­ce se déroulent jusqu’en 1729. C’est alors que le duc de Savoie, roi de Piémont-Sardaigne Victor-Amédée II souhaite acheter la principaut­é. Un prix est fixé. L’affaire est faite. Mais aucun document n’atteste que l’argent a été versé. Le roi aurait-il été négligent ? Pire : escroc ? C’est là dessus que se fondent les habitants pour revendique­r leur indépendan­ce. Ce qui est sûr, c’est que l’abbé Biancheri, qui régnait à cette époque-là, garda son titre de prince de Seborga jusqu’à sa mort, en 1740. Mais peut-être le roi de Piémont-Sardaigne lui avait-il fait cette concession au moment de l’« achat » ? Toujours est-il qu’en 1793, Seborga figure dans le départemen­t des Alpes-Maritimes, constitué après la conquête Cannes : Man Ray, un regard clandestin chez les Domergue du comté de Nice par la France à la Révolution. Mais en 1815, lorsqu’après la chute du Ier Empire le comté de Nice revient au Royaume de Piémont-Sardaigne, on ne trouve plus trace de Seborga dans ce royaume.

Le nouvel État écrit sa constituti­on

Oubli accidentel ou volontaire ? De là à conclure que Seborga est toujours un territoire indépendan­t, il n’y a qu’un pas ! C’est ce pas qu’a franchi, en 1963, un horticulte­ur nommé Giorgio Carbone. Constatant que ni le royaume ni la république d’Italie, créés entre-temps, n’ont statué sur le cas de Seborga, il a décidé, avec ses compatriot­es, d’officialis­er le statut de Principaut­é et s’est fait élire prince Giorgio Ier. Une constituti­on a été écrite, prévoyant que les princes seraient élus pour sept ans. Une monnaie a été créée, indexée sur le dollar, réactualis­ant la pratique des abbés de Lérins, qui frappaient leur monnaie à Seborga. Cet État qui a sa capitale, son drapeau, son souverain, son gouverneme­nt composé de neuf ministres, sa monnaie, qui émet ses passeports et ses plaques minéralogi­ques, n’a pourtant jamais été reconnu par la communauté internatio­nale. L’Italie a toutefois perdu les trois procès qu’elle a intentés contre lui. Ses habitants paient leurs impôts à l’Italie, mais les déclarent comme une « aide internatio­nale »! Le prince actuel est Marcello Ier, promoteur immobilier élu en 2010, réélu en avril 2017 avec 75 % des voix - même si en 2016, un écrivain français, Nicolas Mutte, descendant prétendu de Napoléon, revendiqua son trône, fomenta un coup d’État et s’intitula à l’époque Nicolas Ier. Tout cela parce qu’en 1729, le duc de Savoie et roi de Piémont-Sardaigne n’a peutêtre pas acquitté sa dette !

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(Photos DR) Victor-Amédée II, duc de Savoie, n’aurait jamais versé l’argent ! Le territoire de  kilomètres carrés, ne dépasse guère trois cents habitants.
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Un État qui a une capitale, un drapeau et un souverain.

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