, Hanbury crée à Vintimille l’un des plus beaux jardins de la Riviera ANDRÉ PEYREGNE
Nous sommes en 1867. Il y a cent cinquante ans. Un homme d’affaires anglais épris de nature, Thomas Hanbury, est venu séjourner à Menton avec son frère Daniel. Il s’est enrichi en Chine dans le commerce du thé, a dirigé la première ligne de chemins de fer chinoise. Un jour, à Menton, il loue un bateau pour effectuer avec son frère une promenade en mer. Trois kilomètres au-delà de la frontière italienne, sur la commune de Vintimille, il aperçoit au cap de la Mortola, les ruines d’une villa dominant un domaine en pente, couvert d’oliviers, de vignes et d’orangers. Coup de foudre pour ce lieu : « Nous allons créer là l’un des plus beaux jardins botaniques de la Riviera », déclare-t-il à son frère !
Les jardins à la mode
Les jardins botaniques sont à la mode, à l’époque. Le maire d’Hyères, Alphonse Denis, a créé le sien. Un autre Alphonse – Karr, celui-là, spirituel chroniqueur du Figaro – a créé un jardin à Nice puis un autre à Saint-Raphaël dans lequel il promène son humour : « La botanique est l’art de sécher les plantes entre des feuilles de papier et de les injurier en grec et en latin », dit-il ! Il préfère les plantes vivantes. Au Cap d’Antibes, c’est Henry de Vilmorin qui crée son domaine horticole tandis qu’à Cannes le jardin Vallombrosa éblouit Stéphen Liégeard. À Nice le «Vallon des Roses » autrement appelé « Valrose » est aménagé par le baron von Derwies, ancien ingénieur des chemins de fer de Russie. Les frères Hanbury se renseignent sur la villa du cap Mortola. Elle a été construite au XIVe siècle sur des fondations romaines et a accueilli en mai 1511 un hôte illustre, Machiavel en personne. Le célèbre philosophe italien, qui est également ambassadeur de la République de Florence, est venu régler un différent portant sur la piraterie entre Florence et Monaco. Au XVIIe, la villa fut acquise par la famille Orengo, dont elle a gardé le nom. Les frères Hanbury l’acquièrent le 1er mai 1867. Les travaux commencent : la villa s’agrandit, une tour carrée surgit au-dessus du toit, une loggia ouvre ses arcades sur une façade tandis que les murs se couvrent de fresques maritimes. Pour cultiver son domaine, Thomas Hanbury fait venir le jardinier allemand Ludwig Winter, ex-directeur des jardins des Tuileries à Paris, installé à Hyères.
Le rendez-vous des têtes couronnées
Différentes essences commencent à pousser. Les plantes les plus diverses lancent leurs feux d’artifice de verdure. Les glycines et lilas, les lauriersroses, les passiflores, les roses, les bégonias familiers à nos cieux cohabitent avec les aloès, cactus, yuccas, oponces et euphorbes venus du bout du monde. Entre les massifs fleuris jaillissent des palmiers. Les agaves ne tardent pas à fraterniser avec les pins parasols. L’un des plus beaux jardins botaniques de la région prend forme. À la mort de Thomas Hanbury, en 1907, il comptera plus de cinq mille espèces différentes. Des têtes couronnées lui rendent visite : la Reine Victoria en 1882, ou encore de l’Impératrice Eugénie, veuve de Napoléon III, qui engage Ludwig Winter pour dessiner les jardins de sa villa du Cap Martin, près de Menton. Thomas Hanbury a réussi son pari. Tandis qu’il repose dans un mausolée mauresque dressé dans son domaine, son jardin est aujourd’hui la propriété de l’État italien, géré par l’Université de Gênes. Neuf hectares sont occupés par des espèces méditerranéennes, neuf autres par des espèces exotiques. On y admire une petite forêt australienne, un jardin mexicain. On croise les succulentes originaires des différents déserts du globe et les cycadées, venues d’ExtrêmeOrient. Les essences resplendissent sous le ciel d’Azur. Tout cela parce qu’un jour, il y a cent cinquante ans, deux frères anglais laissèrent dériver leur barque vers l’Italie et vagabonder leur imagination sur les pentes accueillantes d’un cap inhabité.