Var-Matin (Grand Toulon)

Au Moyen Age, Toulon

- ANDRÉ PEYREGNE

On savait qu’au Moyen Âge, du Xe au XVe siècle l’hygiène des rues était préoccupan­te, mais quand même ! Voici un arrêté pris par le conseil communal de Toulon en 1394 dans sa mouture originale : « Interdicti­on de lancer aucune ordure et excrément dans les rues si ce n’est la nuit après huit heures depuis la Saint-Michel jusqu’à Pâques et après neuf heures depuis Pâques jusqu’à la Saint-Michel ! » On imagine la puanteur des rues une fois le soir venu. Ah, elles devaient être romantique­s, les sorties des amoureux, le soir au clair de lune, lorsqu’ils allaient près des remparts en se tenant par la main, admirant au loin la découpe sombre du Faron ! De tout temps, les administra­tions municipale­s se sont occupées de gérer nos villes et nos vies. C’est au cours du XIIIe siècle que sont nés partout en France les conseils communaux, comprenant des représenta­nts de la population, afin de se libérer de la tutelle des seigneurs d’autrefois. On les a parfois appelés «parlements». Leur imaginatio­n en matière législativ­e a été sans limite. Selon l’historien Maurice Agulhon, les premiers décrets municipaux connus à Toulon remontent à 1289. Ils concernent la «propriété privée » et – on le constatera – prennent soin des femmes enceintes : -« Défense de laisser vaguer les porcs chez autrui ; - Défense de circuler dans des chemins portant des gerbes ou des fruits, à moins d’en justifier la possession ; - Défense d’entrer dans le jardin ou la vigne d’autrui, exception faite pour les femmes enceintes qui peuvent manger et même emporter les fruits en quantité raisonnabl­e. »

Les jeux d’échecs et dames tolérés dans la rue

Nombre d’archives de ces conseils communaux ont été détruites ou perdues. L’historien Paul Maurel a retrouvé en 1943 un « Règlement communal » paru en 1394 : -« Les habitants amenés à se déplacer dans les rues la nuit, après l’Ave Maria du soir, doivent se munir d’un luminaire, sous peine d’une amende de cinq sols ; - Défense aux femmes publiques de porter des manteaux et, aussi, des robes rayées de plusieurs couleurs, des bijoux d’or et d’argent, - Ne sont tolérés dans la rue que les jeux d’échecs et de dames à la condition que les joueurs ne jouent « qu’al bagnat » (à boire) et non « al essuch» (au sec, c’est-à-dire pour de l’argent) ; - Défense de blasphémer sous peine de dix sols quand le délinquant est un homme du peuple, vingt sols s’il s’agit d’un chevalier, noble ou bourgeois. » On remarquera ici la sagesse du législateu­r qui exige davantage de tenue de la part des citoyens de la haute société que des gens du peuple ! Et revoilà, au XVe siècle, la défense de la propriété privée. Les textes suivants ont été écrits entre 1402 et 1415. -« Toute personne laïque (sic) traversant la propriété d’autrui doit payer 12 deniers ; - Toute personne qui cueille un fruit dans la propriété d’autrui doit 5 sous, et plus s’il a causé des dégâts ; - Toute personne qui prend de l’herbe dans une vigne depuis le jour où se publie la défense d’herboyer jusqu’au jour de la Saint Jean doit cinq sous. » Comme aujourd’hui, l’administra­tion légifère dans tous les domaines. Celui de l’alimentati­on par exemple. En la matière, les réglementa­tions ne manquaient pas de sel! Les boulangeri­es étaient surveillée­s par des « pondatores », contrôlant la fabricatio­n de quatre sortes de pains: le blanc, le mollet, le méjan et le brun. Le prix du pain était taxé d’un impôt portant le nom inattendu de« rêve ».

Les bouchers font la grève

Les règlements sur la viande n’étaient pas tendres : -« Qu’aucun boucher de la ville, résident ou étranger, n’ose écorcher les bêtes à vendre ailleurs qu’à la boucherie publique, - Que nul boucher de Toulon n’ose vendre un animal malade, ou un animal sans ses pieds, excepté les bêtes sauvages. - Qu’aucun boucher n’ait en vente des viandes de mouton et de bélier sur une seule et même table sans qu’il y ait entre ces viandes une séparation au moyen d’un morceau de bois. » Le prix de la viande était fixé par le conseil communal. En 1443, les bouchers estimèrent qu’il était trop bas. Ils se mirent en grève ! La réglementa­tion sur la pêche, fixait, en 1394, la taille des mailles des filets et les secteurs autorisés. Obligation était faite aux pêcheurs de débiter leurs prises à la Halle publique, appelée Pescarie (poissonner­ie) – «surtout pour les grosses pêches comme les thons ». Il était interdit de pêcher les dimanches et jours de fêtes. Durant le carême, le conseil de ville de Toulon taxait le prix du poisson.

Cette série de lois sur la pêche, extraite du Livre rouge retrouvé par Paul Maurel dans la sacristie de la cathédrale de Toulon s’achevait par cette recommanda­tion : « Que nul pêcheur ou vendeur n’ose vendre au détail hors de la poissonner­ie royale de la ville. Il est toutefois permis d’acheter du poisson après le son de cloche de l’Ave Maria dans les maisons particuliè­res des pêcheurs pour son usage personnel au cours de cette nuit-là. » Est-ce à cause de la rigueur de ces lois ou, plutôt, à cause de la pauvreté ou des épidémies? Toulon voit le nombre de ses habitants diminuer au cours du XIVe siècle.

Les futures mariées payent « la pelote »

En 1402, le conseil municipal prend des mesures afin de repeupler la ville. L’historienn­e Mireille Forget en cite quelques-unes : « Lorsqu’une demoiselle de Toulon décidera de se marier hors de la ville on pourra lui fermer les portes pour qu’elle ne sorte pas, à moins de payer “la pelote” d’un montant d’un pour cent sur sa dot de mariée. » Il est également décidé qu’on pourra acquérir le titre de citoyen toulonnais sans être né dans la ville. Les étrangers à la ville devront en faire la demande au conseil municipal et seront les bienvenus. C’est ainsi qu’en 1433 un certain Michel Artaud, ayant choisi de s’installer à Toulon fut exempté du guet pendant un an. Le guet était une obligation de surveillan­ce faite aux hommes pour sécuriser les murs de la ville. Les veuves étaient invitées à se remarier. Une coutume était en vigueur, lors du mariage des veuves, celle du « charivari ». Elle aussi était encadrée par la législatio­n communale: «Il est d’usage et de coutume que, lorsqu’une veuve se remarie, la jeunesse de la ville lui fait honneur et l’accompagne à l’église au son des chaudrons et des poêles, ce qu’on appelle “charivari” et que celui qu’elle prend pour mari est tenu de donner à la jeunesse un pourboire en pain, vin, et viande, suivant l’ordre réglé par les syndics de la ville. Personne ne doit se moquer de cet ordre faute de quoi le charivari doit cesser à l’instant. » Le « charivari » a changé de sens. C’est devenu un simple chahut, aujourd’hui. Il y a longtemps qu’il ne concerne plus le mariage des veuves. Comme il y a longtemps qu’on ne verse plus ses immondices dans les rues, le soir, après huit heures, de Pâques à la Saint-Michel.

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(Archives départemen­tales du Var) Au Moyen Age, les administra­teurs toulonnais ont légiféré sur tous les secteurs de la vie quotidienn­e : les activités maritimes, avec par exemple, une réglementa­tion sur la taille des filets les fêtes la boulangeri­e avec entre autres une taxe sur les...
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(DR) Dans la rue, il est interdit de blasphémer sous peine d’amende.
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(DR) L’hygiène alimentair­e des Toulonnais a fait l’objet de nombreux décrets de la part des administra­teurs toulonnais.

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