Que s’est-il passé le 3 octobre ?
L’une des trois stations françaises à avoir détecté la radioactivité en provenance de Russie se situe dans la rade. Un cadre de l’IRSN nous explique ce qui s’y est passé le 3 octobre dernier. Interview « désintox »
Avec cette mystérieuse radioactivité détectée dans l’air en provenance de Russie, c’est peu dire qu’en ce moment l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire(1) croule sous les demandes des médias. Mais Jean-Christophe Gariel, directeur du pôle santé à l’IRSN, a accepté de prendre quelques minutes pour nous répondre. « Avec les collègues, on se partage les interviews» sourit-il. « Notre mission, c’est aussi d’informer. » Et donc, a fortiori, de lutter contre la désinformation et les échos alarmistes qui bruissent, des réseaux sociaux au cours Louis-Blanc. La preuve.
C’est quoi cette histoire de pollution radioactive qui s’est abattue sur la ville de La Seyne ? On ne peut pas dire que ça s’est « abattu » sur La Seyne. Tout commence en Italie, le octobre, quand nos confrères transalpins détectent des traces de ruthénium-, un élément radioactif qui n’existe pas à l’état naturel. Ils préviennent immédiatement le réseau européen d’organismes chargés de la surveillance de la radioactivité dans l’air, dont nous faisons partie. Parmi les stations de l’IRSN en France, celles de Nice, Ajaccio et La Seyne relèvent aussi des traces de ruthénium-. Au total : , micro-becquerel par mètre cube d’air à La Seyne, ce qui reste un niveau extrêmement faible. Plusieurs dizaines d’autres stations en Europe en ont aussi détecté.
Comme dans les films, tous les voyants rouges ont commencé à clignoter, une sirène s’est mise à hurler et le personnel a dû évacuer les bâtiments ? Non, ça ne s’est pas passé comme ça. Déjà, il n’y a qu’une seule personne qui travaille dans notre station seynoise. Et puis il n’y a pas de sirène. Les relevés se font toute l’année, via une sorte de gros aspirateur avec un filtre qui récupère les aérosols. Ces fines particules, déposées sur un capteur, sont ensuite envoyées en région parisienne pour analyse. À La Seyne, le octobre, on a donc retiré le filtre qui avait été mis en place le septembre et on l’a envoyé par courrier au laboratoire de Vésinet. Des traces très légères de ruthénium- ont effectivement été confirmées. Mais rien qui puisse toutefois présenter le moindre danger pour la santé ou l’environnement.
Par courrier ? Dites, ce n’est pas très rapide votre truc. Et si jamais ça avait été un sous-marin nucléaire qui avait claqué sa chaufferie dans la rade ? On parle quand même d’un courrier express. Et puis précisons que le fait qu’on détecte du ruthénium-, un produit de fission, sans aucun autre élément radioactif l’accompagnant, signifiait déjà que nous n’avions pas affaire à un accident sur un réacteur nucléaire. Par ailleurs, pour tout ce qui est contamination massive, on a plus de sondes dites Téléray sur le territoire qui font des mesures de radioactivité dans l’air en temps réel. Là, il y a effectivement quelqu’un d’astreinte H pour vérifier les valeurs. Et une alarme qui se déclencherait au besoin !
C’est la première fois qu’on fait ce genre de trouvaille à La Seyne ? Ce n’est pas la première fois qu’on détecte des éléments radioactifs ici, non. En début d’année, on avait détecté des traces d’iode , qui est aussi un isotope radioactif. On est resté sur l’hypothèse que cela pouvait provenir d’une installation qui produirait de l’iode à usage médical mais nous n’avons pas été capables de remonter à la source. Là encore, cela avait été détecté dans d’autres pays.
Et Tchernobyl ? Et Fukushima ? Tchernobyl, c’était il y a fort longtemps. Il n’y avait pas le réseau Téléray. Mais j’imagine que oui. Fukushima, on avait détecté des traces d’iode et de césium sur certaines de nos stations. Mais le Japon, c’est loin !
Quand vous détectez quelque chose, que faites-vous? Notre premier objectif, c’est de voir si cela peut générer un problème sanitaire. En l’occurrence, ça n’en pose pas. À La Seyne, Nice ou Ajaccio, on a aussi resserré le temps de prélèvement des filtres, pour voir si les niveaux augmentaient. Cela n’était pas le cas. On a cherché à savoir d’où venait ce « machin-là ». Comme il n’y avait pas de problèmes connus, on a utilisé des modèles météo complexes pour connaître l’origine géographique de la radioactivité et on a fini par dresser la carte qui a été diffusée partout le novembre. C’est un peu de là qu’est né l’emballement médiatique, d’ailleurs.
Pourquoi cet emballement avec cette histoire de ruthénium, alors qu’il y avait eu l’iode précédemment, par exemple? Sans doute parce qu’on parle là d’une détection de radioactivité à l’échelle d’un continent, avec une origine mystérieuse. Ce n’est pas anormal que cela ait autant intéressé les médias. Même s’ils n’ont pas été si réactifs : ona produit nos premières notes sur le sujet le octobre, et personne alors ne s’en souciait vraiment…
Par contre, désormais, on imagine que c’est un peu le feu pour vous… Il y a eu des centaines d’articles partout dans le monde. On avait déjà été très actifs pendant Fukushima mais, oui, clairement, ça nous donne pas mal de travail en plus. Après, notre rôle est aussi d’informer.
Bon et alors, conclusion, c’est encore un problème avec le nucléaire en Russie ? Après avoir écarté les différentes hypothèses satellite qui rentre dans l’atmosphère, problème sur un réacteur, etc. - on en est arrivé à la conclusion qu’il s’agissait sans doute, effectivement, d’une usine qui retraite le combustible nucléaire usé en Russie, quelque part au sud de l’Oural. Dans cette zone, il y a le complexe nucléaire Maïak. Mais bon, l’exploitant dit qu’il n’a eu aucun incident sur ses installations…
Ca doit vous faire un peu rire ce genre de réponse… Rire, ce n’est pas le mot… Disons que nous faisons face là à un paradoxe qu’on a beaucoup de mal à expliquer à l’heure actuelle.
Pour finir, vous pouvez nous le dire maintenant : à La Seyne, on va tous mourir à cause de cette histoire… (rires) Et non, certainement pas ! J’invite d’ailleurs tous les Seynois à aller se baigner sans craindre quoi que ce soit! (On lui fait alors remarquer qu’ils risqueraient surtout d’attraper un bon rhume). Qu’ils profitent alors des douceurs de la Provence !
1. L’IRSN, établissement public sous la tutelle de plusieurs ministères, est l’expert français en matière de recherche et d’expertise sur les risques nucléaires et radiologiques.
Ce n’est pas la première fois qu’on détecte des éléments radioactifs ici ”