Christophe Bacquié: «Monsieur Paul inspirait le respect»
Le chef deux étoiles du Castellet a souvent rencontré le maître de Collonges-au-Mont d’Or. C’est même Paul Bocuse qui lui a remis sa veste de Meilleur ouvrier de France en 2004
Il n’y a pas de bonne cuisine si au départ elle n’est pas faite par amitié pour celui ou celle à qui elle est destinée », avait dit un jour de 1976, Paul Bocuse à Bernard Pivot dans un Apostrophes au parfum de bouillon de culture. Paul Bocuse au sommet de sa notoriété mondiale avait alors résumé sa philosophie de vie en une phrase. Le maître de Collonges a voué son existence à donner du plaisir, à partager sa passion et à transmettre son savoir. S’il a publié des dizaines de livres de gastronomie en 50 ans, sa seule vraie recette était connue de tous : le travail. Et c’est cela qu’il a transmis à trois générations de chefs français. Dont Christophe Bacquié particulièrement ému, hier, en apprenant la disparition de son mentor. La gorge pourtant nouée par l’émotion, le chef doublement étoilé de l’Hôtel du Castellet ne cherche pas ses mots. « Monsieur Paul inspirait avant tout le respect ». Il faut dire que les deux grands noms se connaissaient bien. « Chaque année nous allions déjeuner à l’auberge. J’adorais sa salade de homard à la Française », raconte Christophe Bacquié.
« Il est avec moi »
« Lorsqu’il me voyait dans la file d’attente, il venait me prendre par la main et il disait, « il est avec moi ». Il comptait beaucoup pour moi. Il faut dire que c’est lui qui m’a remis ma veste de Meilleur ouvrier de France car j’ai remporté le concours en 2004 et c’était la dernière année qu’il a présidé la cérémonie de remise des médailles. Une immense émotion pour moi. Pour un cuisinier c’est quelque chose de se dire qu’on porte à la veste, le même col, que Monsieur Paul. Il a toujours été très bienveillant avec moi. Il est venu me voir à La Villa en 2006. Paul Bocuse a mené les chefs là où ils sont aujourd’hui car c’était un avant-gardiste ».
Hors des modes
Avant-gardiste ? Au début des années soixante-dix lorsqu’Alain Sanderens, Alain Chapel ou Michel Guérard amorcent une rupture avec les plats traditionnels, Bocuse se tient à l’écart de cette Nouvelle cuisine(1). Il ne montera pas non plus dans le train de la cuisine moléculaire dans les années quatre-vingt ! Bocuse demeure le gardien d’un immarcescible temple. « C’est en cela qu’il était un avantgardiste: il refusait les modes. Il m’avait dit : le plus grand changement c’est de ne rien changer ». Au lieu de s’imprégner de la cuisine du monde pour en créer une originale à la sauce Thierry Marx, Bocuse a inondé le monde de sa Soupe V.G.E. ,desa Volaille de Bresse en vessie de porc (hommage à la mère Brazier), de ses Carrés d’agneau à la fleur de thym et de son Filet de sole Fernand Point. Bocuse aimait «le beurre, la crème et le vin », et pas « les petits pois coupés en quatre ». «Il a porté haut et fort les couleurs de la gastronomie française. Il va nous manquer. D’abord il va y avoir un vide et puis une nouvelle page va s’écrire en France et dans le monde ». Ses héritiers, parfois un peu turbulents, tantôt fidèles et tantôt renégats sont légion. « Monsieur Joël Robuchon, bien sûr. Mais quelqu’un comme Yannick Alléno aussi peut, aujourd’hui, reprendre le flambeau », assure le Varois. À 46 ans, Christophe Bacquié ne s’inspire pas vraiment de la cuisine de Bocuse pour composer ses assiettes épurées mais c’est l’homme qui l’influence. La puissance charismatique du chef lyonnais en impose. Les valeurs que sont le travail, le sens du partage, la générosité, le sens de l’amitié et de la transmission du savoir le touchent au plus haut point. «J’avais déjà une toque dédicacée par M. Paul mais la dernière fois que je suis allé à Lyon il m’a fait offrir une veste dédicacée. Pour moi c’est un cadeau considérable. Chaque année il m’adressait ses voeux. Je suis très amis avec ses chefs. Nous sommes allés passer le 31 décembre à l’Auberge avec les enfants. L’an passé nous avons fait une photo ensemble mais je n’ai jamais voulu la rendre publique car il était déjà très fatigué. Aujourd’hui je suis triste. J’irai à ses obsèques car je tiens à lui rendre hommage. Il y aura toute la gastronomie française. Oui, M. Paul était un grand monsieur ». Sa vie privée relevait d’un roman de Flaubert ou de Maupassant. «Mais ça c’était sa vie privée », ponctue Christophe Bacquié. Paul Bocuse n’était ni un mythe, ni légende. Juste un homme. Mais quel homme.
Paul Bocuse était un avant-gardiste : il refusait les modes ”
(1) En dépit de sa légendaire salade de haricots verts, il a toujours réfuté l’idée de faire partie de ce courant.