Var-Matin (Grand Toulon)

La Civette de Montéty sonne la retraite

Les propriétai­res du dernier commerce de l’îlot Montéty doivent être expropriés dans les jours qui viennent. Retour sur l’histoire de ce bar, mémoire de ce quartier voué à la destructio­n

- SIMON FONTVIEILL­E sfontvieil­le@nicematin.fr

Une bière s’il-te-plaît». La bouteille verte de Heineken file des mains de Joseph Leccia, dit José. Les bulles s’échappant de la bouteille décapsulée font partie des dernières à s’égayer entre les murs peuplés de cochons corses de La Civette de Montéty… Les Leccia sont passés devant le juge de l’expropriat­ion le 17 janvier. «Maintenant, le juge a deux mois pour donner son délibéré et fixer les indemnités », soupire Dominique Leccia, gérante, avec son frère Joseph, de La Civette (voir infra).

Patibulair­e

La fermeture prochaine du bar viendra mettre fin à une lente agonie. Au fil des rachats des appartemen­ts de l’îlot Montéty par la municipali­té et du dépeupleme­nt du quartier, la clientèle de La Civette s’est réduite, étiolée, raréfiée. Aujourd’hui, à peine une dizaine de fidèles et d’administra­tifs pousse chaque jour la porte du bar-tabac. On avale un petit noir, une mousse ou une omelette. Les jours de gloire appartienn­ent au passé. Quand Dominique et Renée Leccia, les parents des gérants actuels, rachètent La Civette en 1970, le quartier est encore en pleine ébullition. L’établissem­ent de cette famille corse devient rapidement un repaire. « À la place du Zénith, il y avait l’arsenal de terre, et à la place de la préfecture, un terrain d’entraîneme­nt. C’était le bar de la troupe et des habitués du quartier », détaille Renée Leccia, voix fluette, sous l’oeil d’une figurine de Napoléon Ier. Quelques blousons noirs sont aussi de la partie. Dans la cour, ça joue à la pétanque avec des boules attitrées. A l’intérieur, c’est échecs, flipper et jukebox. Mais dimanche après-midi, place à la télé ! « Tout le monde venait regarder le sport et les variétés !», se souvient Dominique. Début des années 1980, le public du bar change. Avec la constructi­on de la préfecture et des Beaux-arts, les soldats sont remplacés par les fonctionna­ires et les étudiants. Des gens de l’extérieur qui se mélangent avec les voisins de Montéty, donnant corps à un joyeux boxon. «On avait des jeunes, des vieux, des patrons, des artistes, des ouvriers...», énumère Dominique. « Et on parlait de tout ! » s’éveille Joseph. « De société, de politique… Il suffit que tout le monde se respecte. »LaCivette est alors un forum. Mais aussi un havre : quand les clochards du coin ne viennent pas y passer Noël, on se refile les bons tuyaux. Des personnage­s hauts en couleur y trouvent refuge, comme « Roger Antiquités », un ancien militaire des bataillons d’Afrique, gueule cassée à la mâchoire déglinguée. « Il devait boire sur le côté, les gens en avaient peur. Mais c’était un brave type », glisse José. Les scènes cocasses s’enchaînent. Comme cette fois où un homme en costume demande à Renée de lui garder une mallette contenant huit millions d’anciens francs. « C’était pour les ventes aux enchères des biens de l’Etat qui avaient alors cours à côté!», se souvient la nonagénair­e. Les années 1990 filent. Malgré les cours de soutien scolaire donnés sur les tables du bar, de 2000 à 2014, le nouveau millénaire verra arriver le déclin. « Charles, notre frère qui s’occupait essentiell­ement du bar, meurt en 2000. Notre père suivra en 2003… Il y a eu un monde fou à leurs obsèques… », se souvient Joseph. Et maintenant ? « Je vais rentrer en Corse…», soupire l’insulaire. « Moi, je vais rester avec ma mère dans notre appartemen­t de Claret », glisse Dominique. « Peut-être oeuvrer dans le social. Il y a des choses à faire…» Paulin de Montéty, fondateur de la cité ouvrière, n’aurait pas mieux dit.

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(Photos S. F., doc V-M et DR) « Quand c’est cuit, c’est cuit...», lâche Joseph Leccia (à droite ),à côté de sa soeur, Dominique.
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Le patriarche Leccia, héros de guerre (au centre) serrant la main d’Hubert Falco (à gauche).
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