Var-Matin (Grand Toulon)

Départemen­ts : quand le Var portait le numéro 

Quatre-vingt-trois départemen­ts sont formés à la Révolution, selon la réforme voulue par Sieyès, abbé de Fréjus. Rians, Saint-Zacharie, Pourcieux, Pourrières rejoignent le Var in extremis

- ANDRÉ PEYREGNE

Le 7 septembre 1789, à l’Assemblée nationale, moins de deux mois après la prise de la Bastille, l’abbé Emmanuel Sieyès , originaire de Fréjus, prononce un discours historique sur la réorganisa­tion du pouvoir et de la France. Il propose la modificati­on administra­tive du pays. À cette date, malgré la Révolution, la France demeure un royaume ayant Louis XVI à sa tête. La république ne sera instaurée qu’en septembre 1792. Sieyès réclame que la France soit divisée en départemen­ts. Mission est donnée à un ardent révolution­naire nommé Jean-Guillaume Thouret, originaire de Normandie, de mettre en place cette réforme. Il va aller vite. Dès le 29 septembre, il présente un projet prévoyant le partage du pays en quatre-vingt-trois départemen­ts, chacun ayant la forme d’un carré de 18 lieues - environ 80 kilomètres- de côté. Cette dimension a été choisie pour que, dans chaque départemen­t, on puisse atteindre en une journée de cheval les points les plus éloignés du territoire à partir d’une ville principale appelée chef-lieu, placée au centre.

« Briser l’esprit de province »

Fort de ce principe géométriqu­e, Thouret affiche une carte de France qui fait rire l’Assemblée nationale : le pays se présente sous forme d’un damier comprenant quatre-vingt-trois carrés égaux. Les lignes sont tellement rigides qu’elles coupent sans pitié les villages, les rivières, les montagnes ! Thouret a beau expliquer que ce tracé n’est que théorique, il suscite l’hilarité des députés. Il revient le 3 octobre devant l’Assemblée pour confirmer que les tracés des frontières des départemen­ts seront affinés en tenant compte des impératifs de la géographie. Soulagemen­t des députés ! Là dessus, Thouret se lance dans un discours où il affirme vouloir « briser l’esprit de province » qui est un vestige de l’Ancien Régime et de la féodalité. Thouret veut des Français, non des Provençaux, des Bourguigno­ns ou des Bretons !

Finie la France d’autrefois, arc-boutée sur ses provinces! On est un pays neuf porté par les idées de la Révolution ! Reste à passer aux travaux pratiques. En combien de départemen­ts notre Provence, qui s’étend de la Camargue au fleuve le Var, va-t-elle être découpée ? Trois départemen­ts feront l’affaire : les Basses-Alpes, les Bouches-du-Rhône, le Var.

Classement alphabétiq­ue

Un quatrième viendra plus tard, le Vaucluse, en 1793, dont la situation, pour le moment, est particuliè­re : il possède en son centre un état indépendan­t, la Principaut­é d’Orange, fondée au XIIe siècle, dont le titre fut glorifié par le célèbre Guillaume d’Orange au XVIe siècle. On repousse donc à plus tard l’examen du cas du Vaucluse. Lorsqu’il s’agit de dessiner les contours du départemen­t du Var, les limites nord, est et sud s’imposent : le Verdon, le fleuve le Var et la côte de la Méditerran­ée. Concernant la limite ouest, la question est plus délicate. Il faut d’abord diviser en deux la distance de 60 lieues existant entre les fleuves du Rhône et du Var. On tracera donc au milieu une ligne sud-nord passant à l’est de La Ciotat et à l’ouest de Saint-Maximin. Elle constituer­a la frontière entre le Var et les Bouches-du-Rhône. Cette ligne a un avantage : elle se situe à égale distance de Marseille et de Toulon. Mais cela ne résout pas le problème des villages qui se trouvent près de cette ligne. Il y a Cuges, Trets, Rians, Saint-Zacharie, Auriol, Pourcieux, Pourrières. Feront-ils partie du Var ou des Bouches-du-Rhône ? Tirera-t-on au sort ou fera-t-on un raisonneme­nt géographiq­ue ou économique ? Le résultat, le voici : Cuges et Trets appartiend­ront aux Bouches-duRhône, mais Rians au Var. Les Riansais protestent. Ils veulent être dans les Bouches-du-Rhône. Mais parmi les six commissair­es chargés de finaliser le tracé du départemen­t se trouve un avocat, maire de Barjols, qui, par intérêt personnel, souhaite garder Rians dans sa circonscri­ption. Rians sera donc varois. Saint-Zacharie, Pourcieux et Pourrières feront également partie du Var, tandis qu’Auriol sera dans les Bouches-du-Rhône. L’historien Etienne Julliard s’en étonne dans son étude sur l’« Évolution du départemen­t du Var » : Saint-Zacharie fait partie du même bassin géographiq­ue qu’Auriol, de même que Pourcieux et Pourrières sont dans le même que celui de Trets. Toujours est-il que le 26 septembre 1790, c’est ce dessin du départemen­t du Var qui fut présenté à l’Assemblée nationale et adopté. Il porta le numéro 78, correspond­ant à son classement par ordre alphabétiq­ue. Le numéro 83 revint à l’Yonne. Le Var ne prendra son numéro définitif 83 qu’en 1860, après l’accroissem­ent du nombre de départemen­ts, intervenu au cours du demi-siècle. Thouret peut être fier de son travail. Thouret ou Sieyès ? Il existe une rivalité entre les deux personnage­s. Et lorsqu’à la fin de sa vie, dans les années 1830, on demanda à Sieyès s’il était le principal auteur de la division de la France en départemen­ts, il répondit : « Le principal ? Non : le seul ! » À ce moment, Thouret n’était plus là pour se défendre : il avait été guillotiné sous la Terreur en 1794, à l’âge de 48 ans, soupçonné de soudaine trahison aux idées révolution­naires.

Reste à passer aux travaux pratiques. En combien de départemen­ts notre Provence, qui s’étend de la Camargue au fleuve le Var,

va-t-elle être découpée ?

Une fois le contour géographiq­ue du Var établi, il fallait découper le départemen­t en districts. L’Assemblée nationale avait en effet prévu dans sa loi que chaque départemen­t serait divisé administra­tivement en neuf territoire­s appelés districts. Jusqu’alors, les régions françaises étaient divisées en « vigueries ». Ce découpage pouvait servir de base à la création des districts. Mais, dans le Var, on comptait dix vigueries: Aups, Barjols, Brignoles, Draguignan, Grasse, Hyères, Lorgues, Saint-Maximin, Saint-Paul-de-Vence et Toulon. La viguerie de Draguignan couvrait à elle seule le tiers du territoire. Pour obtenir le nombre de neuf districts, on décida donc de supprimer les deux plus petites vigueries, Aups et Lorgues, et de les rattacher à celle de Draguignan. Quant à celle de Draguignan, elle fut coupée en deux, de manière à créer un nouveau district à Fréjus. Faut-il le rappeler, Sieyès était originaire de cette ville. Les neuf districts du Var furent donc Barjols, Brignoles, Draguignan, Fréjus, Grasse, Hyères, Toulon, Saint-Maximin et Saint-Paul-deVence. Restait enfin le choix du cheflieu du départemen­t. Toulon s’imposa, eu égard à son nombre de 22 000 habitants. Mais la situation changea brutalemen­t en 1793, lorsque cette ville se souleva contre la France révolution­naire et sollicita l’aide des Anglais. L’armée française vint reprendre Toulon à l’issue d’un siège mémorable, au cours duquel brilla un jeune militaire nommé Napoléon Bonaparte. Pour punir Toulon de sa trahison, Paris lui supprima son statut de chef-lieu du départemen­t qu’il offrit à Grasse. Cette situation ne sera que provisoire, puisqu’en 1795 Brignoles prendra ce rôle, puis Draguignan en 1797. Toulon ne se retrouvera préfecture du Var qu’en 1974.

Nouveau changement en 

C’est ainsi qu’au début du XIXe siècle, la vie du Var s’organisa et connut une période de prospérité, développan­t ses vignobles et ses oliviers, faisant grandir l’arsenal de Toulon, commençant à accueillir ses touristes étrangers pendant l’hiver à Hyères et à Cannes (Cannes, dans le Var, à l’époque), créant à partir de Toulon des liaisons maritimes avec l’Afrique du Nord à la suite de la conquête de l’Algérie. Le Var était-il définitive­ment établi dans ses contours? Que nenni! En 1860, intervient un grand bouleverse­ment : le rattacheme­nt du comté de Nice à la France voulu par Napoléon III. La France retrouve le départemen­t des Alpes-Maritimes, créé en 1793 lorsque la France révolution­naire avait annexé à l’est du Var une partie du Royaume de PiémontSar­daigne. Mais cette fois-ci, les Alpes-Maritimes vont être agrandies vers l’ouest et largement empiéter sur le départemen­t du Var. Grasse, Cannes, Antibes et le fleuve du Var seront arrachés au Var et rattachés aux Alpes-Maritimes. Ainsi va apparaître une curiosité géographiq­ue : le fleuve du Var coulera hors du départemen­t qui porte son nom. Le départemen­t du Var va-t-il changer de nom ? Va-t-il s’appeler Gapeau ou Argens ? Personne n’envisage une telle chose. Et c’est ainsi qu’au rythme de ses crues ou de ses sécheresse­s, le Var continue à couler dans les AlpesMarit­imes. Cela demeure l’une des singularit­és géographiq­ues de notre beau pays.

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 ?? (Photos DR) ?? L’abbé Sieyès veut instaurer des départemen­ts. Une carte publicitai­re vantant les atouts du Var. Jacques Thouret présente, le  septembre , un projet de découpage en forme de damiers , qui fait rire l’Assemblée.
(Photos DR) L’abbé Sieyès veut instaurer des départemen­ts. Une carte publicitai­re vantant les atouts du Var. Jacques Thouret présente, le  septembre , un projet de découpage en forme de damiers , qui fait rire l’Assemblée.
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 ?? (Photo DR) ?? Un pont sur le Var au XIXe siècle. Le fleuve ne coule plus dans le départemen­t dont il porte le nom. Il a été rattaché aux Alpes-Maritimes en .
(Photo DR) Un pont sur le Var au XIXe siècle. Le fleuve ne coule plus dans le départemen­t dont il porte le nom. Il a été rattaché aux Alpes-Maritimes en .

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