CÉDRIC HERROU DANS LIBRE
La Roya est son royaume
Elles sont restées seules, les olives, pendant tout l’hiver 2016, le temps que leur propriétaire récolte ce que l’on brasse souvent quand on vient en aide à son prochain: des emmerdes. Cédric Herrou est le jeune agriculteur installé à la frontière italienne, côté français, qui a fait de sa ferme un point d’étape sur la route des migrants. C’est lui, l’homme « Libre », suivi pendant des mois par Michel Toesca pour un documentaire présenté à Cannes hors compétition. Herrou, anar, cabochard, réfractaire à l’ordre et à la loi (sauf quand elle lui permet, quelquefois mais pas toujours, de remporter une bataille judiciaire). Sa vie pépère, là-bas dans la pampa de la vallée de la Roya est devenue un combat, le jour où il a proposé à une première poignée de migrants de les accueillir. La poignée s’est transformée en marée. Combien ? «Des
centaines», probablement. Ramassés, glanés le long des routes, ou passés directement par le maquis qui entoure son exploitation. Il n’est pas seul. Tout un réseau gravite autour du camp des Lucioles. Une infirmière est filmée, elle passe de l’un à l’autre comme on visite un camp humanitaire. Parfois d’autres visiteurs s’approchent. Portant calot et uniforme: policiers sans cesse croisés, dans la Roya, dans le train ou à l’entrée du Palais de justice de Nice. Derrière les verres épais de ses lunettes, Herrou garde toujours le même cap: «Que
faire d’eux s’ils viennent chez moi ? » surtout si ce sont des mineurs. La réponse de l’État, dans l’oeil de Toesca, paraît bien limitée. Même si le ton est souvent courtois, le documentariste n’en fait pas mystère: le méchant dans l’histoire, ce n’est pas Cédric Herrou, qui a le beau rôle. Prêt à risquer la
prison pour la cause. Le film est réussi, si on le réserve à la projection entre progressistes convaincus que « l’aide au séjour irrégulier », condamnée en France, n’est qu’un délit de solidarité. Pas sûr en revanche qu’il convertisse ceux qui partagent le point de vue inverse. Ils trouveront pourtant dans le doc un allié inattendu : « Les Français ont peur pour leur sécurité. Ils ont raison de fermer
les frontières», assume... Moussa, l’un des migrants hébergés aux Lucioles. Le documentaire ne lève pas la crainte sur le sujet. Il la confirme plutôt: dans la vallée, la maille est large pour ceux qui n’ont pas que de bonnes intentions. Aujourd’hui, l’itinéraire bis des malheureux a été détourné, plus au nord, vers le Briançonnais. Les Lucioles se sont vidées. Et Céric Herrou a recommencé à ramasser ses olives.