Var-Matin (Grand Toulon)

« On a un sentiment de peur et de honte parfois »

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Benoît est assistant de régulation médicale (ARM) au SAMU 83. Un métier qu’il a choisi comme on épouse une belle cause : sauver son prochain. «Ce qui m’a intéressé, dit-il, c’est de participer à l’organisati­on des secours, à l’évacuation des patients sur le territoire. Être le premier maillon de la chaîne de secours qui permet de sauver des vies. » Huit ans après, ce quadragéna­ire calme et posé fait part d’un quotidien terrifiant : « On fait des gardes de 12 heures, de jour ou de nuit. Ce qui est stressant, c’est la charge de travail intensive durant douze heures non-stop. On souffle avec les jours de repos, heureuseme­nt. Dans notre départemen­t touristiqu­e, ça devient assez rude. Cet été, on a franchi un cap, on arrive au point de rupture. Lorsque la cadence s’accélère, le risque d’erreur s’accroît. On est sur la corde raide. Physiqueme­nt, on est assis, mais c’est éprouvant. Nerveuseme­nt et intellectu­ellement, ça prend beaucoup d’énergie. La surcharge d’activité est telle qu’on éprouve un sentiment de peur et de honte parfois. On doit travailler vite et bien, on a peur de mal faire, on a honte de ne pas assurer un service de qualité, c’est-à-dire de décrocher assez rapidement. Quand on est tous en ligne, les ARM et les médecins, certains appels restent dans la boucle, sans réponse dans un délai normal. Dans l’effectif, on est tous à bout, au bord du burn-out . On maintient le service, mais c’est très compliqué pour nous tous ».

« On prend des risques et on en fait courir aux Varois »

Malgré tout, Benoît garde espoir : « Contribuer à sauver des gens, c’est valorisant. En plus, j’ai appris que des renforts vont arriver. Sachant que sur les six personnes annoncées qui vont être recrutées, cela ne fera que deux postes en plus, puisqu’on travaille 24 h/24, 7 jours/ 7, il faut trois ARM pour une ligne ». Son collègue Jean-René fait partie

(1) des trente grévistes. Réquisitio­nné, il raconte : « On est submergé d’appels dont le nombre augmente d’année en année. Bien souvent, on pallie la fermeture des cabinets médicaux après 18 heures, dont les messages des répondeurs indiquent qu’il faut appeler le 15, témoigne-t-il. On reçoit aussi des appels de personnes qui ont vu un médecin ou SOS Médecins, voire les deux, et qui veulent un troisième avis. On répond à ces demandes de conseils, mais on perd énormément de temps au détriment de l’urgence vitale, comme une noyade ou un arrêt cardiaque ». Le rythme de travail est infernal : « C’est du décroché, raccroché, sans aucun répit. On prend des risques et on en fait courir aux Varois. On interroge les gens, on crée des fiches, on passe les communicat­ions aux médecins, eux aussi en souffrance, car ils ont le même rythme », ajoute-t-il. Ainsi, les délais d’attente s’allongent, parfois plus de 20 minutes, et les ARM se font engueuler, insulter par des gens excédés d’attendre. Encore plus depuis le drame de Strasbourg (2). « Un médecin a été menacé de mort », rappelle Michel (3), un superviseu­r. Certains ARM viennent travailler la boule au ventre, trois sont en arrêt maladie. « On n’est pas des machines », commente Jean-René, satisfait que le mouvement de grève ait fait bouger les autorités de tutelle. « On nous a promis six embauches. C’est bien... Mais un peu tard. » Michel souligne aussi : « On n’est pas d’accord sur l’amplitude de travail. On s’interroge sur le bien-fondé des 12 heures continues, car dans les périodes chaudes les appels ne s’arrêtent pas à minuit. On a eu des appels avec plus de 10 minutes d’attente, avec quatre ARM en place, à 4 heures du matin ».

1 et 3. Le prénom a été changé à sa demande. 2. Une jeune mère de 22 ans, est décédée quelques heures après son appel au SAMU. Un important scandale avait éclaté en mai alors qu’un enregistre­ment de l’appel passé par la jeune femme avait fuité. On y entendait la jeune femme au plus mal et une opératrice du service d’urgence se moquer d’elle en réponse.

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Benoît souligne : « On est tous à bout.»

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