Un Azuréen veut sauver les légumes du terroir
Nos fruits et légumes sont fades. Et l’uniformisation menace. Au nom du goût et de la biodiversité, Maxime Schmitt mène une croisade originale. Il sillonne les vallées pour dénicher des semences anciennes rescapées de la standardisation. Et il compte sur vous pour apporter vos graines d’espèces oubliées à la Maison des semences paysannes. Pour que courgettes, poivrons, petits artichauts... retrouvent leurs saveurs du terroir.
Chapeau de paille, regard azur et teint hâlé, Maxime Schmitt descend de sa vieille Fiat Panda avec une petite mallette bleue toute cabossée. Remplie d’un trésor que cet aventurier des semences perdues récolte patiemment. Avec Marie Bonneville, artisan semencière à la Brigue (Alpes-Maritimes), et Sophie Vallet-Chevillard, ce trentenaire s’est lancé un défi un peu fou. Sauver de l’oubli les variétés ancestrales. Un combat au nom du goût, et de la biodiversité. « On a une terre reçue en héritage qu’on doit protéger. Je travaille depuis 7 ans sur ce projet. L’idée c’est de recréer le lien qui a été rompu, de la graine jusqu’à l’assiette » ,raconte l’oléiculteur, installé de l’autre côté de la frontière.
« % des variétés ont disparu en un siècle »
En janvier, tel un chercheur d’or, il a commencé à arpenter le territoire. Pour dénicher ces pépites, dans des potagers où subsistent des variétés locales qui ont survécu à la standardisation. « Le goût a été perdu. Il y a beaucoup de recettes de nos grandsmères que nous ne sommes plus capables de faire parce qu’on n’a plus les produits qui correspondent. En un siècle on a perdu 75 % des variétés.» Il cite le brocoli de Nice, le poivron carré pour les petits farcis… Issus des terres de la région, ces espèces sont en voie de disparition. « Un maraîcher de Carros était l’un des derniers à cultiver ce petit poivron, mais il y a deux ans, il a perdu ses graines. » Depuis,
Maxime cherche la perle rare. Par ailleurs, nombre de légumes du terroir sont issus de semences provenant d’une autre région. « Elles sont produites loin d’ici. Comme elles ne sont pas adaptées au terroir, elles sont donc moins
résistantes. » Plus gourmandes en eau. Et puis côté saveurs, Maxime ne peut se résoudre à l’uniformisation : des tomates ou fraises azuréennes ne devraient pas avoir le même goût qu’à l’autre bout du pays.
variétés locales récoltées en mois
Il a donc eu l’idée de créer une « Maison des semences paysannes » dans les Alpes-Maritimes. L’objectif : récupérer les graines de variétés locales auprès des agriculteurs et jardiniers amateurs… afin de constituer une « banque de semences patrimoniales ». Et en faire profiter les maraîchers pour qu’ils puissent cultiver et s’échanger ces graines. « Aujourd’hui, on essaie de remettre en culture des variétés qui auront, par leur multiplication dans ce terroir, moins besoin de pesticides, moins besoin d’engrais chimiques, qui seront localement adaptées à nos terres et à nos climats et à nos façons de manger. » En l’espace de 6 mois, il est déjà parvenu à une belle « récolte » : 50 variétés de courgettes, tomates, pois, fèves, artichauts… d’ici Maxime ouvre sa mallette sur une table disposée à un jet de pierre des serres de Nicolas Lassauque à Carros. « Des amis m’ont ramené des pois carrés d’Italie. Ils datent, dans leur forme sauvage, du néolithique. » D’un sac, il sort une poignée de tomates sauvages, qui arrivent d’Amérique latine. Il nous les fait goûter. Plus petites que les tomates cocktail, la peau est épaisse mais le goût excellent. « C’est délicieux, non ? » Après la dégustation, place à la démonstration. Il coupe d’abord en deux une courge. Puis, il poursuit avec une « tomate verte d’Occitanie » de l’exploitation de Nicolas Lassauque, pour nous montrer comment en extraire les graines. Selon les espèces, le mode opératoire varie. Mais Maxime veille à les rendre robustes. « L’une des techniques consiste à très peu arroser les semences. Quand elles sont trop bien traitées, elles deviennent paresseuses. Alors qu’en étant économe en eau, elles vont enregistrer dans le génotype ces informations, et leurs racines iront chercher plus loin l’eau nécessaire. Elles seront ainsi mieux adaptées à notre climat sec. » Nicolas Lassauque, néomaraîcher bio installé grâce à la commune sur des terres aux plans de Carros, insiste sur l’impératif de productivité. « On a besoin de variétés qui ont du goût et un bon rendement, » explique l’ancien ingénieur chimiste. Avant de souligner l’intérêt de la Maison des Semences paysannes: «si on peut s’échanger des graines, ça permettra de réduire nos coûts. L’achat de semences représente plus de 10% de notre chiffre d’affaires. Mais, par ailleurs, nous n’avons pas le temps de toutes les produire. » A côté de lui, Maxime Schmitt enchaîne: « c’est l’objectif de notre collectif. Si dans notre réseau, chaque agriculteur multiplie des semences d’une ou deux variétés, avec 10 sortes de courges et 10 de tomates on peut arroser tout le département. » Et se prémunir des pertes de biodiversité. Pour mettre en place ces échanges, les agriculteurs ont dû livrer une bataille juridique. (lire ci contre).
Appel aux «jardiniers»
Sur des restanques au-dessus du Port de Nice, Maxime a planté du «brocoli» de Nice. Réputé pour son goût et cultivé dans la plaine du Var, il a quasiment disparu. Alors, il s’est empressé d’en récupérer des graines auprès de l’un des derniers détenteurs pour les multiplier. « Ici on aménage un potager à but pédagogique, pour montrer la diversité des espèces locales. » Maxime Schmitt lance un appel à tous les jardiniers amateurs et maraîchers de la région. « Si vous avez des variétés que vous êtes le dernier à cultiver, contactez-nous, et nous ferons tout pour les remettre en circulation, les redistribuer. Vous pourrez ainsi les retrouver sur les étals de nos marchés et dans nos assiettes.»