Var-Matin (Grand Toulon)

L’heure d’hiver

- CLAUDE WEILL Journalist­e, écrivain et chroniqueu­r TV edito@nicematin.fr

Commémorer, expliquer. Commémorer les héros de la Grande Guerre et la fin des combats. Expliquer la politique du gouverneme­nt. Tels étaient les deux objectifs de la tournée d’Emmanuel Macron dans l’est et le nord de la France. Exercice inédit d’« itinérance mémorielle ». Il n’est pas sûr que cette idée de croiser les deux motifs, de « lier les douleurs d’hier avec celles d’aujourd’hui », ait été très heureuse. Difficile de se poser en même temps en père de la Nation, porteur des souffrance­s et des grandeurs de la mémoire nationale, et en mécano de la politique, sommé de répondre à toutes les impatience­s et les colères du quotidien. Vu de loin (à travers ce que les médias en ont donné à voir), c’est une grande impression de brouillage qui s’en dégage. L’impression d’un message parasité. D’une occasion manquée. Ayons une pensée pour les malheureux qui se sont donné le mal de préparer les beaux discours mémoriels de ce Président féru d’histoire. On n’en retiendra rien. Rien d’autre que la polémique incongrue qu’il a luimême suscitée à propos d’un prétendu hommage à Pétain dont il n’a, nous dit-on, jamais été question. Quant à la pédagogie de la politique gouverneme­ntale… De tant d’explicatio­ns et de rencontres de terrain, il ne restera guère que ces saynètes, filmées avec gourmandis­e et diffusées en boucle, d’un chef d’Etat apostrophé, malmené par des citoyens à cran. Prix du gasoil, baisse des retraites, toutes les colères de la France de  sous la loupe grossissan­te des chaînes d’info en continu. Emmanuel Macron y a peut-être gagné en humanité. En présidenti­alité, c’est moins sûr… Il paraît que le Président est « très heureux » de cette itinérance. Qu’il a « capté plein de messages, plein d’enseigneme­nts » dont il fera son miel. Soit. Vu de l’extérieur, le message n’est guère différent de celui qui transpire de tous les pores de la société, qui explose dans la rhétorique hystérisée des réseaux sociaux et s’affiche dans la froide arithmétiq­ue des sondages. Ce Président, dont l’élection signait la mise au rencart d’un système politique jugé vermoulu et inefficace, est en passe d’être rattrapé par les causes même de sa victoire : le sentiment que la politique suivie ne marche pas. Un scepticism­e rageur qui rend tout discours suspect. Une défiance radicale envers les « politicien­s », et qui n’épargne personne, pas même les opposition­s. Il est notable que dans le dernier baromètre de la Sofres, où Macron atteint son plus bas niveau de satisfacti­on, tous les leaders politiques sont cotés à la baisse. Et à des niveaux plus bas encore. Hormis Marine Le Pen et sa nièce, en léger progrès, mais encore très loin dans le classement, tous, qu’ils soient de gauche, comme Royal et Hamon, d’extrême gauche, comme Mélenchon (qui perd  points), du centre, de droite, tous sont victimes de cet amer désenchant­ement qu’on sent monter dans le pays. Politiquem­ent, la France est passée à l’heure d’hiver.

« Emmanuel Macron y a peut-être gagné en humanité. En présidenti­alité c’est moins sûr… »

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