Des dames galantes de Toulon… à la loi sur l’état d’urgence
Quel est le point commun entre un ancien quartier chaud toulonnais, la justice administrative et l’état d’urgence déclenché pour faire face au terrorisme ? Insoluble pour le commun des mortels, cette question étrange a fait le sel de l’audience solennelle du tribunal administratif de Toulon célébrant ses dix ans d’âge.
Le « quartier réservé » L’histoire elle, est bien plus ancienne, puisqu’elle remonte à une centaine d’années en arrière, du temps où le Toulon populaire s’encanaillait dans les rues du « quartier réservé ». Ne le confondez pas avec le petit Chicago, qui connut sa gloire après-guerre. Situé sur l’actuelle Visitation, et aujourd’hui totalement disparu, ce « périmètre étroit » était devenu un point de fixation pour le préfet maritime et gouverneur de Toulon, Albert Rouyer. Celuici craignait pour la sécurité et les bonnes moeurs de ses marins. En , pleine période de guerre, au nom d’un danger pour la défense nationale, le préfet ordonna l’interdiction de servir à boire aux filles – forte restriction de liberté – ainsi que de racoler. Ce fut l’un des premiers textes étendant les pouvoirs de police, qui allait produire « la théorie des circonstances exceptionnelles ». Celles-ci allaient de nouveau être établies avec l’état d’urgence en , pendant la guerre d’Algérie. Elles furent ravivées lorsque les attentats terroristes ont commencé à endeuiller la France.
Liberté versus sécurité Virginie Donier, enseignante chercheur en droit à Toulon, est venue analyser l’extension des pouvoirs du juge administratif, interrogeant l’équilibre nouveau entre « liberté et sécurité ». Avec la loi sur la sécurité intérieure, le pouvoir administratif « glisse-t-il vers une logique de suspicion », en devenant « prédictif du risque de commettre une infraction » – qui n’a pas encore été commise ?
Les « libellules » Puis, l’histoire ancienne fut rappelée avec truculence par JeanChristophe Duchon-Doris, ancien président du tribunal administratif de Toulon, aujourd’hui à la tête de la juridiction niçoise (et écrivain). Car les arrêtés du préfet maritime en avaient été attaqués par deux femmes, ces « libellules ».« Quel courage de la part de ces filles, d’attaquer la décision d’un préfet. » Même si celles-ci ont perdu leur combat, leur nom est resté dans l’histoire, sous le nom de « l’arrêt Dames Dol et Laurent ». Et cela aussi, c’est de la justice administrative.