Matthieu Suc décortique les services secrets de Daesh
Les attentats qui ont frappé la France ont été planifiés au sein de l’ “Amniyat”. Cette organisation, inspirée des services secrets mondiaux, est radiographiée par le journaliste Matthieu Suc
De l’Etat Islamique (EI), on connaissait la cruauté inouïe, son habile propagande sur Internet et les réseaux sociaux, et sa remarquable organisation militaire, qui avait permis à une minuscule armée de djihadistes de prendre en quelques mois le contrôle d’un territoire de plusieurs milliers de kilomètre carré, à cheval sur l’Irak et la Syrie. On n’imaginait pas, en revanche, que l’EI pouvait disposer d’un service secret structuré, organisé et professionnalisé, aussi à l’aise dans le contre-espionnage que dans les opérations extérieures.
La piste débute après l’attentat de Nice
Ce service, baptisé “Amniyat”, a pourtant existé, orchestrant entre autres les attentats du 13 novembre 2015, à Paris(lire ci-dessous). C’est ce que révèle dans une enquête passionnante (1) le journaliste Matthieu Suc, spécialisé dans les affaires de renseignement et de terrorisme. C’est l’attentat de Nice, le 14 juillet 2016, qui met le journaliste sur la piste de l’organisation. « Juste après l’attentat, j’ai écrit un article pour Médiapart, qui s’interrogeait sur le lien qui pouvait exister entre les préconisations du magazine Inspire, publié par Al-Qaïda, et l’attaque de la Promenade des Anglais. Inspire avait fait la promotion des attaques à la voiture-bélier, avec une méthode détaillée. Or, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel avait scrupuleusement appliqué ces conseils. » Un deuxième attentat achèvera de le convaincre de la professionnalisation des méthodes employées par les terroristes : l’assassinat, à leur domicile de Magnanville, d’un couple de policiers. « Là encore, cet attentat correspondait à la lettre à ce que recommandaient les tutoriels diffusés par les sites djihadistes». Matthieu Suc se met alors à éplucher avec un oeil nouveau la propagande des groupes terroristes.
Des méthodes inspirées de la CIA et du KGB
« En les relisant, j’ai réalisé qu’il y avait dans ces tutoriels autant de chapitres consacrés au passage à l’acte que de conseils liés à la préparation des attaques, à la sécurisation des conversations, à la dissimulation. On y parlait de la CIA, du KGB, on employait des expressions comme « officier traitant », qui est un vocabulaire typique du renseignement. Je me suis dit : «Ces gens-là savent de quoi ils parlent… » En épluchant des milliers de procès-verbaux, en interrogeant des agents du renseignement, des magistrats, d’ex-djihadistes, des universitaires et en écumant la toile, le journaliste finit par mettre à jour une redoutable machine.
L’aide de la filière de “Cannes-Torcy”
Dès 2014, après avoir muselé toute résistance en pratiquant un contre-espionnage aussi violent que méthodique, l’Amniyat se tourne vers les opérations extérieures. Et elle reçoit pour cela une aide précieuse. « Après les premières frappes de la coalition, un groupe de combattants, essentiellement constitué d’Algériens et de Français (dont le Cannois
Rached Rihahi, figure éminente de la filière dite de Cannes-Torcy), s’est proposé pour animer ce bureau des opérations extérieures, dont la mission était de planifier et d’organiser des actions terroristes aux quatre coins du monde », révèle le journaliste. Pendant ce temps, et malgré les informations qui remontent du terrain, « beaucoup de services occidentaux ne croient pas à l’existence d’une structure aussi organisée et professionnalisée au sein de l’EI. Or, ceux qui nous frappent ne sont ni des idiots, ni des malades mentaux, mais des gens structurés et organisés. » En 2015, la méfiance n’est donc clairement pas à la hauteur de la menace. Et les attentats surviennent. C’est ainsi que le commando du 13 novembre, construit, entraîné puis guidé depuis la Syrie par les cadres de l’Amniyat, a pu frapper la France avec autant de violence. Trois ans plus tard, la débâcle de l’EI, défaite militairement, a-t-elle mis un terme à la menace ? Le
journaliste reste dubitatif : «Il ne faut jamais sous-estimer l’Etat Islamique. Les services français sont d’ailleurs très prudents. D’autant que la menace aujourd’hui est devenue endogène, avec notamment un certain nombre de personnes qui vont sortir de prison. Des gens qui faisaient partie des filières des années 2000 et qui ont un très gros pédigree. Sans compter les agents dormants envoyés depuis 2015, dont certains attendent peut-être le moment propice pour passer à l’acte. »