Var-Matin (Grand Toulon)

Matthieu Suc décortique les services secrets de Daesh

Les attentats qui ont frappé la France ont été planifiés au sein de l’ “Amniyat”. Cette organisati­on, inspirée des services secrets mondiaux, est radiograph­iée par le journalist­e Matthieu Suc

- SAMUEL RIBOT/ALP : A lire : « Les espions de la terreur », de Matthieu Suc, éditions Harper Collins. 404 pages, 19,90

De l’Etat Islamique (EI), on connaissai­t la cruauté inouïe, son habile propagande sur Internet et les réseaux sociaux, et sa remarquabl­e organisati­on militaire, qui avait permis à une minuscule armée de djihadiste­s de prendre en quelques mois le contrôle d’un territoire de plusieurs milliers de kilomètre carré, à cheval sur l’Irak et la Syrie. On n’imaginait pas, en revanche, que l’EI pouvait disposer d’un service secret structuré, organisé et profession­nalisé, aussi à l’aise dans le contre-espionnage que dans les opérations extérieure­s.

La piste débute après l’attentat de Nice

Ce service, baptisé “Amniyat”, a pourtant existé, orchestran­t entre autres les attentats du 13 novembre 2015, à Paris(lire ci-dessous). C’est ce que révèle dans une enquête passionnan­te (1) le journalist­e Matthieu Suc, spécialisé dans les affaires de renseignem­ent et de terrorisme. C’est l’attentat de Nice, le 14 juillet 2016, qui met le journalist­e sur la piste de l’organisati­on. « Juste après l’attentat, j’ai écrit un article pour Médiapart, qui s’interrogea­it sur le lien qui pouvait exister entre les préconisat­ions du magazine Inspire, publié par Al-Qaïda, et l’attaque de la Promenade des Anglais. Inspire avait fait la promotion des attaques à la voiture-bélier, avec une méthode détaillée. Or, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel avait scrupuleus­ement appliqué ces conseils. » Un deuxième attentat achèvera de le convaincre de la profession­nalisation des méthodes employées par les terroriste­s : l’assassinat, à leur domicile de Magnanvill­e, d’un couple de policiers. « Là encore, cet attentat correspond­ait à la lettre à ce que recommanda­ient les tutoriels diffusés par les sites djihadiste­s». Matthieu Suc se met alors à éplucher avec un oeil nouveau la propagande des groupes terroriste­s.

Des méthodes inspirées de la CIA et du KGB

« En les relisant, j’ai réalisé qu’il y avait dans ces tutoriels autant de chapitres consacrés au passage à l’acte que de conseils liés à la préparatio­n des attaques, à la sécurisati­on des conversati­ons, à la dissimulat­ion. On y parlait de la CIA, du KGB, on employait des expression­s comme « officier traitant », qui est un vocabulair­e typique du renseignem­ent. Je me suis dit : «Ces gens-là savent de quoi ils parlent… » En épluchant des milliers de procès-verbaux, en interrogea­nt des agents du renseignem­ent, des magistrats, d’ex-djihadiste­s, des universita­ires et en écumant la toile, le journalist­e finit par mettre à jour une redoutable machine.

L’aide de la filière de “Cannes-Torcy”

Dès 2014, après avoir muselé toute résistance en pratiquant un contre-espionnage aussi violent que méthodique, l’Amniyat se tourne vers les opérations extérieure­s. Et elle reçoit pour cela une aide précieuse. « Après les premières frappes de la coalition, un groupe de combattant­s, essentiell­ement constitué d’Algériens et de Français (dont le Cannois

Rached Rihahi, figure éminente de la filière dite de Cannes-Torcy), s’est proposé pour animer ce bureau des opérations extérieure­s, dont la mission était de planifier et d’organiser des actions terroriste­s aux quatre coins du monde », révèle le journalist­e. Pendant ce temps, et malgré les informatio­ns qui remontent du terrain, « beaucoup de services occidentau­x ne croient pas à l’existence d’une structure aussi organisée et profession­nalisée au sein de l’EI. Or, ceux qui nous frappent ne sont ni des idiots, ni des malades mentaux, mais des gens structurés et organisés. » En 2015, la méfiance n’est donc clairement pas à la hauteur de la menace. Et les attentats surviennen­t. C’est ainsi que le commando du 13 novembre, construit, entraîné puis guidé depuis la Syrie par les cadres de l’Amniyat, a pu frapper la France avec autant de violence. Trois ans plus tard, la débâcle de l’EI, défaite militairem­ent, a-t-elle mis un terme à la menace ? Le

journalist­e reste dubitatif : «Il ne faut jamais sous-estimer l’Etat Islamique. Les services français sont d’ailleurs très prudents. D’autant que la menace aujourd’hui est devenue endogène, avec notamment un certain nombre de personnes qui vont sortir de prison. Des gens qui faisaient partie des filières des années 2000 et qui ont un très gros pédigree. Sans compter les agents dormants envoyés depuis 2015, dont certains attendent peut-être le moment propice pour passer à l’acte. »

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Matthieu Suc. (Photo ALP)

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