Pierre Rabhi : « Les OGM sont un crime contre l’humanité »
De passage dans le golfe de Saint-Tropez, le paysan-écrivain – dont certains voudraient déboulonner la « statue » – creuse, imperturbable, son sillon, que ce soit avec ou sans... DiCaprio
Àse bientôt ans, l’homme
fait de plus en plus rare en public. Éternelle écharpe autour du cou et pantalon de velours côtelé, Pierre Rabhi a pourtant une nouvelle fois répondu à l’appel de l’association ramatuelloise Je fais ma part pour une conférence publique. L’ex-employé de banque d’Oran, devenu magasinier O.S. en France, avant de s’établir sur les sommets ardéchois dans les années et se révéler chantre de l’agroécologie, se targue d’afficher pour tout diplôme le certificat d’études. Semblables à tous ceux qui fuient cette « civilisation hors sol », de Marion Cotillard aux anonymes disciples Colibris, presque un millier de personnes, toutes générations confondues, sont présentes ce soir-là dans un gymnase grimaudois, pour boire ses paroles. Aussi sombres soientelles. « Peut-on imaginer survivre encore longtemps ? Je ne suis pas là pour vous plomber le moral. Mais quand il y a un incendie, il faut le dire. Sous réserve que j’aie raison... Je peux avoir tort...», laisse-t-il planer. Depuis que des détracteurs sont sortis du bois en dénonçant – façon « beaucoup de bruit pour rien » –, le « système Rabhi », le paysan-philosophe, aux allures de pâtre débonnaire, ne cherche pas l’affrontement. Préfère citer des paraboles pétries d’humour et creuser son sillon, imperturbable. Quitte à répondre la plupart du temps horschamp aux questions posées. Que ce soit par l’animateur de la conférence ou aux journalistes lambda avides de réponses anglées. Comme si son message de bon sens ne souffrait finalement aucun barbelé verbal. Plantons ici malgré tout quelques poteaux en sa compagnie. Prêchez-vous désormais uniquement pour les convertis ou pensez-vous encore convaincre au-delà ? Étant donné l’échec du modèle actuel – la crise, etc. –, il y a une sorte de panique. Nous sentons un éveil pour de plus en plus de gens. Et nous essayons, à notre mesure, de participer à cet éveil en donnant des solutions concrètes. Je ne vais pas les citer, mais j’ai rencontré des personnalités qui ont des responsabilités très importantes (allusion aux grands patrons Jacques-Antoine Granjon de Vente-privée.com, Emmanuel Faber, directeur général du groupe Danone ou Jean-Pierre Petit, plus haut dirigeant français de McDonald’s, etc., Ndlr) et qui eux aussi acceptent le dialogue avec quelqu’un qui dit que la croissance économique est très dangereuse et qu’il faut aller vers autre chose que la surconsommation et la surabondance. Il faut changer de paradigme. La sobriété est pour moi le moyen de réorienter l’histoire d’une façon plus réaliste. Regardez ces stars qui ont tout pour être heureuses... Lorsqu’on regarde de près, on se rend bien compte que le bonheur n’est pas là...
‘‘Nous vivons l’ère du horssol mental”
Quelles actions pour accompagner la prise de conscience ? J’ai un peu banni de mon langage la « prise de conscience ». Ça me rappelle l’électricité, du style : “Avez-vous la bonne prise ?” (rire) Je crois davantage à l’élévation des consciences. C’est-à-dire agrandir la lucidité pour avoir un regard juste sur l’organisation de notre société qui ne peut plus se prolonger comme ça. Le contrat de l’être humain avec la Terre – j’ensemence, ça pousse, je me nourris – a été rompu. Les trois-quarts des semences reproductibles ont disparu... À la place, on amène les chimères OGM qui sont des crimes contre l’humanité. Et je pèse mes mots ! Tout cela au nom du profit immédiat de quelques multinationales qui se fichent de l’avenir de leurs enfants. Je prêche, à ce propos, pour que l’écologie soit enseignée dès l’enfance. Ce n’est pas une question subsidiaire. Alors bien sûr, on organise des conférences mondiales sur l’écologie sur le ton: « Dormez braves gens, on s’occupe de tout ». Mais ce n’est pas vrai, c’est plutôt : « Dormez et nous, on continue à piller et dégrader la Terre »!
Où en êtes-vous du projet au château des ancêtres de SaintExupéry, désormais propriété de votre soutien proche Patrice de Colmont (Club ), à la Môle ? Nous sortons justement d’une réunion, mais elle concernait plutôt le fonds de dotation que nous avons créé pour lancer des projets ou appuyer des initiatives exemplaires, en lien avec l’agroécologie dans le monde (en aparté, sa collaboratrice explique que le château de La Môle est le projet de Patrice de Colmont. Ce dernier travaillant avec l’association initiée par Pierre Rabhi, Terre et Humanisme, avant tout pour la partie expertise agroécologique du domaine, Ndlr). De toute façon, il n’y a que deux alternatives : soit nous devenons intelligents et on s’en sort, soit on reste stupides et on disparaîtra. Au final, la Terre serait très soulagée si nous disparaissions, car elle est vraiment à bout ! (rire)
Vous participiez à la soirée environnementale de Leonardo DiCaprio en au côté de Marion Cotillard. Sa fondation vous a-t-elle ouvert des portes ? Zéro. Rien (rire)... On est dans le scénario où tout le monde veut oeuvrer main dans la main et quand chacun retourne chez lui, c’est oublié. Pas nous. On continue à se battre pour récolter quelques miettes et agir !
Encore faut-il être entendu... Il est vrai qu’après le hors-sol urbain, nous sommes dans le hors-sol mental... L’autre jour, je prenais le train. Tout le monde était rivé sur ses outils de communication, mais plus personne ne communique ! Ce qu’il manque aussi de nos jours, c’est la joie de vivre. Est-ce que vivre, c’est être dans la frénésie, l’efficacité et le harcèlement permanent ? Tout cela est source d’angoisse. Le fondement de la crise actuelle réside, je crois, au final, dans la distorsion du temps de la vie.
La maltraitance animale vous touche-t-elle également ? Je suis d’avis qu’il faut un juste équilibre entre les exactions commises dans certains élevages et l’adulation envers les animaux comme si c’était un enfant... Je le répète, je ne suis ni vegan, ni végétarien. J’ai tenté trois semaines, mais mon métabolisme ne l’a pas supporté. Si l’on a des dents, il faut bien qu’elles servent à quelque chose…