Var-Matin (Grand Toulon)

La rebuffade d’Istanbul

- de DENIS JEAMBAR Journalist­e et écrivain edito@nicematin.fr

La cinglante défaite qu’a subie ce dimanche  juin le parti du président turc Recep Tayyip Erdogan dans les élections municipale­s d’Istanbul –  millions d’habitants et un tiers de la richesse nationale turque – ressemble fort à une fable politique. Ce résultat porte, en effet, en lui une morale et des leçons. Elu avec  % des suffrages et   voix d’avance, le nouveau maire, Ekrem Imamoglu, républicai­n et tenant d’un Etat laïc, encore inconnu il y a quelques mois, avait en fait déjà gagné ce scrutin le  mars dernier lors des élections municipale­s générales avec   voix d’écart sur le candidat de l’AKP, le parti présidenti­el islamo-conservate­ur représenté par Binali Yildirim. Erdogan n’avait pas accepté ces ides de Mars. Un revers, il est vrai, très rude avec la perte de la capitale Ankara, de trois autres très grandes villes de plus d’un million d’habitants (Izmir, Antalya, Andana), et surtout d’Istanbul, où est né Erdogan et dont il fut élu maire en , se flattant alors d’en être ‘’l’imam’’. Impossible pour cet adepte de la démocratur­e d’accepter cette défaite. Il obtient donc que l’élection stamboulio­te de mars soit annulée pour fraude et qu’un nouveau scrutin soit convoqué ce  juin. Mauvais calcul ! Non seulement les électeurs ne l’ont pas suivi mais ils ont transformé le revers de mars en une énorme défaite. Morale de la fable : même autoritair­e, un pouvoir ne peut faire voter les citoyens avec un ‘’revolver’’ dans le dos quand il devient impossible de trafiquer les urnes. Au-delà de cette morale, à méditer par tous les gouvernant­s, ce scrutin contient de nombreuses leçons. Depuis son arrivée au pouvoir en , Erdogan a imposé peu à peu une main de fer sur son pays, envoyant ses adversaire­s en prison, marginalis­ant ses rivaux, muselant la presse, et surtout soumettant de plus en plus le pays à la loi islamiste. Or l’Histoire montre que les pouvoirs autoritair­es finissent toujours par plier sous le poids de leurs excès et de leurs atteintes aux libertés. Autre leçon, Erdogan a cru qu’il avait éradiqué de Turquie l’idéal laïque imposé entre  et  par Mustafa Kemal Atatürk. Istanbul vient de démontrer qu’il n’y est pas complèteme­nt parvenu et que, dans le monde musulman, bien des croyants refusent la radicalisa­tion islamiste. Enfin, cet échec affaiblit un pouvoir arrogant qui pensait pouvoir jouer un rôle majeur au Moyen-Orient. Certes, le mandat d’Erdogan ne s’achève qu’en  et il a du temps devant lui pour rebondir. On le sait habile et redoutable. Mais il n’est pas sûr qu’il puisse y parvenir en poursuivan­t sa politique d’islamisati­on et en resserrant encore plus les rênes du pouvoir. C’est le brutal avertissem­ent que vient de lui adresser Istanbul.

« L’Histoire montre que les pouvoirs autoritair­es finissent toujours par plier »

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