Le dilemme de la clim’
Et vous, vous l’avez, la clim’ ? Moi pas. J’écris de mon petit bureau perdu au milieu d’un « îlot de chaleur » nommé Paris. Au sixième étage, sous le toit – un toit en béton et zinc qui forme un four parfait. Par la fenêtre entrouverte pénètre le courant d’air chaud créé par la clim’ des bureaux vosins – une ascendance idéale pour une aile volante. Je ne dis pas cela pour apitoyer. Tout va bien, merci, je vis la même chose que des millions de Français et n’ai aucune raison de me plaindre. Non, si j’ai le mauvais goût de me mettre ainsi en scène, c’est que ma situation, dans sa banalité, me semble parfaitement illustrer ce que nous raconte ce moment particulier qu’on appelle canicule. Toute crise – ici crise météorologique, qui peut dégénérer en crise sanitaire et humanitaire – est un révélateur des carences et des contradictions d’une société. , le terrible août , avec ses morts, révéla (jusque dans la fatale maladresse politique d’un ministre commentant la catastrophe en polo de vacancier, du fond de son jardin) l’impréparation et la vulnérabilité de notre modernité scientifique et technicienne devant un phénomène pourtant connu de longue date. En même temps que le sort scandaleux qu’une société, égoïste et oublieuse, réservait à ses plus âgés. La leçon a été enregistrée. Les conséquences en ont été tirées. Les gouvernements ont pris des mesures. Des procédures d’alerte ont été mises au point, les protocoles thérapeutiques affinés, les personnels formés, les Ehpad équipés de salles climatisées. Toute l’activité déployée depuis le début de la semaine par la ministre de la Santé vise à vérifier et faire savoir que, cette fois, nous sommes prêts. La canicule ne nous prendre pas en traître. Espérons-le... Peut-on dire, pour autant, que notre société a pris la mesure des changements nécessaires dans les modes de vie, le travail, la construction, si – comme l’affirment les scientifiques – nous devons connaître dans les années à venir des épisodes caniculaires plus fréquents, plus longs, plus sévères ? On en est loin. Exemple : chacun sait que les centres-ville sont les plus touchés par les canicules, car le béton emmagasine et piège la chaleur. Or la législation actuelle en matière d’urbanisme – la loi Alur (ou Duflot) – a notamment pour objectif de… densifier le tissu urbain. Exemple encore : les aides publiques et autres crédits d’impôts destinés à améliorer l’isolation des bâtiments pour réduire les émissions de CO sont tournées quasi exclusivement vers la lutte contre le froid. Pas contre la chaleur. Pis, l’architecture contemporaine (y compris les bâtiments officiels) continue à privilégier les structures en verre et béton. Lesquelles, sous peine de suffocation, exigent en été un usage intensif de la climatisation qui, elle-même, dégage en abondance de l’air chaud et du CO, accentuant ainsi la canicule et le réchauffement. Produire de la chaleur pour se rafraîchir : le paradoxe de la clim’ résume parfaitement le dilemme qui se pose à notre civilisation, quand la montée des températures réclame que l’on réduise drastiquement la consommation d’électricité, et en même temps pousse de plus en plus de terriens à s’équiper de la clim’ (déjà , milliard d’appareils dans le monde, le double dans ans. En attendant, je vais aller dormir sur la terrasse. Comme à ans, quand je visitais le Maroc sac au dos. On n’arrête pas le progrès.
« Les centres-ville sont les plus touchés par les canicules, car le béton emmagasine et piège la chaleur. »