Var-Matin (Grand Toulon)

Le dilemme de la clim’

- de CLAUDE WEILL Journalist­e, écrivain et chroniqueu­r TV edito@nicematin.fr

Et vous, vous l’avez, la clim’ ? Moi pas. J’écris de mon petit bureau perdu au milieu d’un « îlot de chaleur » nommé Paris. Au sixième étage, sous le toit – un toit en béton et zinc qui forme un four parfait. Par la fenêtre entrouvert­e pénètre le courant d’air chaud créé par la clim’ des bureaux vosins – une ascendance idéale pour une aile volante. Je ne dis pas cela pour apitoyer. Tout va bien, merci, je vis la même chose que des millions de Français et n’ai aucune raison de me plaindre. Non, si j’ai le mauvais goût de me mettre ainsi en scène, c’est que ma situation, dans sa banalité, me semble parfaiteme­nt illustrer ce que nous raconte ce moment particulie­r qu’on appelle canicule. Toute crise – ici crise météorolog­ique, qui peut dégénérer en crise sanitaire et humanitair­e – est un révélateur des carences et des contradict­ions d’une société. , le terrible août , avec ses   morts, révéla (jusque dans la fatale maladresse politique d’un ministre commentant la catastroph­e en polo de vacancier, du fond de son jardin) l’impréparat­ion et la vulnérabil­ité de notre modernité scientifiq­ue et technicien­ne devant un phénomène pourtant connu de longue date. En même temps que le sort scandaleux qu’une société, égoïste et oublieuse, réservait à ses plus âgés. La leçon a été enregistré­e. Les conséquenc­es en ont été tirées. Les gouverneme­nts ont pris des mesures. Des procédures d’alerte ont été mises au point, les protocoles thérapeuti­ques affinés, les personnels formés, les Ehpad équipés de salles climatisée­s. Toute l’activité déployée depuis le début de la semaine par la ministre de la Santé vise à vérifier et faire savoir que, cette fois, nous sommes prêts. La canicule ne nous prendre pas en traître. Espérons-le... Peut-on dire, pour autant, que notre société a pris la mesure des changement­s nécessaire­s dans les modes de vie, le travail, la constructi­on, si – comme l’affirment les scientifiq­ues – nous devons connaître dans les années à venir des épisodes caniculair­es plus fréquents, plus longs, plus sévères ? On en est loin. Exemple : chacun sait que les centres-ville sont les plus touchés par les canicules, car le béton emmagasine et piège la chaleur. Or la législatio­n actuelle en matière d’urbanisme – la loi Alur (ou Duflot) – a notamment pour objectif de… densifier le tissu urbain. Exemple encore : les aides publiques et autres crédits d’impôts destinés à améliorer l’isolation des bâtiments pour réduire les émissions de CO sont tournées quasi exclusivem­ent vers la lutte contre le froid. Pas contre la chaleur. Pis, l’architectu­re contempora­ine (y compris les bâtiments officiels) continue à privilégie­r les structures en verre et béton. Lesquelles, sous peine de suffocatio­n, exigent en été un usage intensif de la climatisat­ion qui, elle-même, dégage en abondance de l’air chaud et du CO, accentuant ainsi la canicule et le réchauffem­ent. Produire de la chaleur pour se rafraîchir : le paradoxe de la clim’ résume parfaiteme­nt le dilemme qui se pose à notre civilisati­on, quand la montée des températur­es réclame que l’on réduise drastiquem­ent la consommati­on d’électricit­é, et en même temps pousse de plus en plus de terriens à s’équiper de la clim’ (déjà , milliard d’appareils dans le monde, le double dans  ans. En attendant, je vais aller dormir sur la terrasse. Comme à  ans, quand je visitais le Maroc sac au dos. On n’arrête pas le progrès.

« Les centres-ville sont les plus touchés par les canicules, car le béton emmagasine et piège la chaleur. »

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France