Marine : l’apprentissage de la discrétion dans les Alpes
Loin des océans où les sous-marins sont censés évoluer, la Direction générale de l’armement travaille à l’amélioration de la discrétion des submersibles français dans le lac de Castillon (04)
Que vous soyez fan des Beatles ou non, il n’est pas impossible que vous ayez aperçu un yellow submarine évoluer dans les eaux émeraude du lac de Castillon. Dans une région, surtout connue pour abriter le très controversé Mandarom, dont le défunt gourou Gilbert Bourdin avait pour habitude de partir en guerre contre les mystérieux Atlantes et Lémuriens, une telle vision n’étonnera personne. Une fantaisie de plus ? Pas cette fois. Des sous-marins fréquentent bel et bien cette retenue d’eau située à moins de dix kilomètres de Castellane, dans les Alpesde-Haute-Provence. Depuis 1959, la Direction générale de l’armement (DGA) y possède en effet son Site d’essais sonars et acoustiques (Sesac). Un établissement qui dépend de la DGA Techniques navales de Toulon. Depuis 60 ans donc, c’est là que les sous-marins français améliorent, peaufinent leur furtivité. Leur assurance vie en quelque sorte.
Un environnement idéal
Si pendant très longtemps l’immersion dans les profondeurs marines a suffi à rendre les sous-marins indétectables, les progrès réalisés en matière de sonars, qu’ils soient passifs ou actifs, ont obligé les ingénieurs navals à plancher sur la discrétion acoustique. Mais une question vient aussitôt à l’esprit : pourquoi avoir choisi un lac d’eau douce ? « Pour la tranquillité de ses eaux », répond Jérôme (1), le responsable du Sesac. Et de détailler : « Le bruit de fond du lac est quasiment nul. Sa physionomie – des berges abruptes et un fond recouvert par une épaisse couche de vase – permet d’atténuer les échos. Enfin, le plan d’eau est très peu agité. Le lac de Castillon est vraiment parfait pour les essais que nous effectuons. En Europe, il est unique ». Seul inconvénient : il impose de travailler sur des maquettes. On voit mal en effet comment les 138 mètres et 12 600 tonnes d’un sousmarin nucléaire lanceur d’engins de type Triomphant pourraient être acheminés jusqu’au lac de Castillon…
Affaires sensibles
On en revient donc aux fameux sous-marins jaunes qui régulièrement percent la surface du lac. C’était le cas tout récemment. Cinq semaines durant, de mi-mai à mi-juin, DGA Techniques hydrodynamiques, bien loin de ses installations de Valde-Reuil dans l’Eure, a multiplié les essais (les « tirs » dans le jargon des experts). Nom de code de la maquette autopropulsée utilisée : MLB. Contrairement aux maquettes ML1 et MN2, réalisées pour la mise au point respective des SNA Barracuda et des SNLE Triomphant, la maquette MLB ne représente apparemment pas un sous-marin plus qu’un autre. « En fonction du sous-marin qu’on veut étudier, on adapte l’habillage de la coque », explique Thibaut (1), responsable de DGA-TH, laconique. Le sujet est sensible. On n’en saura pas plus, si ce n’est que ces essais de manoeuvrabilité serviront « à prédire les performances des futurs sousmarins français ». La visite du site avec Jérôme nous en apprend davantage. Notamment sur l’existence d’un polygone acoustique immergé au milieu du lac. Un dispositif complexe de 37 hydrophones qui permet d’enregistrer les bruits émis par les maquettes de sous-marin, qu’ils proviennent de l’hélice, de l’écoulement de l’eau sur la coque, ou des équipements à l’intérieur même de la coque (bruit rayonné). De ces essais, dépend l’efficacité de la composante océanique de la dissuasion française.
1. Comme pour les militaires, la plus grande discrétion est requise et il est demandé aux médias de n’utiliser que le prénom.