Var-Matin (Grand Toulon)

Bartabas : « Ces chevaux parlent au spectateur de son humanité »

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Vous avez voulu nous montrer la beauté sauvage du cheval, mais aussi nous confronter franchemen­t à elle… C’est ça qu’il y a de paradoxal dans ce spectacle, le spectateur se retrouve à regarder des chevaux, comme il regarderai­t des comédiens ou des danseurs. Mais ce sont des chevaux. Ces chevaux lui parlent de son humanité. C’est ça qui est intéressan­t, c’est pas juste un zoo, où on vient regarder les chevaux. Les tableaux parlent de l’humanité, aussi bien du tribu que l’homme doit au cheval, je dirais, que des attitudes ou relations qui renvoient aux comporteme­nts humains. C’est comme un jeu de miroir, c’est assez étrange pour le spectateur. C’est une espèce de mise en abîme.

C’est clair ! On pense facilement « beauté esthétique » avec Zingaro, mais dans ce spectacle, vous montrez aussi l’instrument­alisation du cheval à travers les siècles par l’homme. Une idée que vous aviez depuis longtemps ? A partir du moment où on voulait rendre hommage à nos chevaux, on voulait aussi rendre hommage aux chevaux, en général. Je considère que le cheval a aidé l’homme à grandir. Si l’homme n’avait pas côtoyé le cheval, je pense qu’il se serait peut-être développé complèteme­nt différemme­nt. J’estime que l’homme est très redevable au cheval, parce que ça a été un compagnon de guerre, de transport, de travail… jusqu’à le nourrir.

On voit dans Ex Anima tout le mal qu’on leur a fait au fil des siècles… (Il coupe) Je ne dirais pas le mal. Il faut prendre un peu du recul. Si les conditions de travail des chevaux étaient très dures, il y a  ans ou  ans, faut jamais oublier que la condition des hommes était très dure aussi. Bien sûr, les chevaux travaillai­ent dans les mines, mais les enfants aussi. La condition humaine s’est quand même bien améliorée. Si on compare notre vie et la vie de nos grands-parents, on a beau dire qu’on est stressés, tout ce qu’on veut... Nous, on a des vacances, on sait ce que c’est que le week-end... C’est vrai que par rapport à la condition animale, il faut faire un effort, parce qu’on peut pas exiger des animaux la même chose qu’on exigeait il y a  ans, parce que tout simplement des humains, on n’exige pas la même chose non plus. Chez nous, le cheval est quand même un compagnon de travail, même si ce qui nous guide à Zingaro, c’est de travailler avec des chevaux toujours dans le respect de leur intégrité physique et psychologi­que. C’est la ligne de conduite absolue. Mais après tout, c’est vrai que les chevaux n’ont pas choisi de travailler ici, hein. Donc à partir du moment où ils sont là, on leur doit d’autant plus de l’attention, de l’affection et du respect. Mais une fois que cela est dit, pour moi, le cheval est un compagnon de travail, et je pense qu’il s’épanouit dans son travail, comme nous on doit s’épanouir dans le notre. On va dire : « pour vous c’est facile, vous êtes dans une discipline où vous produisez du beau, mais la caissière au supermarch­é, c’est peut-être pas la même histoire »... Je pense qu’il doit y avoir un accompliss­ement dans le travail, parce que sinon, même une heure de travail est inacceptab­le. Et ça veut dire que l’humain n’est fait que pour manger, dormir et baiser, en gros. Je pense, en tout cas chez nous, que les chevaux s’épanouisse­nt dans le travail.

Vous avez vu évoluer le regard du public sur la question du bien-être animal ? C’est ce dont je viens de vous parler. Le regard évolue pour certains trucs à juste raison, parce que la condition des humains aussi a évolué, mais après, il ne faut pas tomber dans l’excès inverse, c’est-à-dire que la place de l’animal dans la société est quand même fonction aussi de la société, faut jamais oublier.

Cette question s’est reposée il y a quelques mois, avec l’accident que vous avez subi ()… Ça, ça n’a rien à voir dans le sujet.

Des associatio­ns de défense de la cause animale réprouvent le travail du cheval dans un spectacle. Qu’est-ce que vous pensez de cette position ?

C’est une petite minorité qui ne sait même pas de quoi elle parle. C’était quand même huit personnes devant le chapiteau à Bordeaux. Moi, je ne m’associe tellement pas au cirque depuis toujours, que ça ne me concerne pas, en tant que Zingaro. Après, si je dois avoir un point de vue de spectateur : si c’est fait dans le respect de l’animal, pourquoi pas. S’il y a souffrance animale, évidemment que non, comme pour la souffrance humaine.

La fin du spectacle a été très difficile pour moi. C’est presque pour l’humanité que c’est le plus pathétique… Non, non, déjà ce tableaulà se voulait évoquer un peu les rituels, c’est un peu une ouverture sur la suite, parce que c’est quand même la reproducti­on…

C’est positif du coup, on n’est pas dans une illustrati­on de l’instrument­alisation totale de l’animal par l’homme ? Non (...). Après, je dis toujours : dans les spectacles de Zingaro, je ne raconte pas d’histoire. Je donne des tableaux et chacun, en fonction de sa sensibilit­é justement, va le lire d’une manière, ou d’une autre. C’est ouvert. C’est ce qui fait la force des spectacles Zingaro. Un spécialist­e de chevaux va voir autre chose que quelqu’un qui ne connaît pas du tout, ou un spécialist­e de la danse, de la musique ou un enfant.

1. L’accident d’un poney sur scène, qui a rendu son euthanasie inévitable.

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Bartabas dans son emblématiq­ue caravane verte.

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