Le bouchon trop loin poussé
On peut ne pas être absolument fan d’Emmanuel Macron et avoir, aujourd’hui, une pensée émue pour lui. Il a quand même du cran, ce Président qui veut à tous crins réformer quand beaucoup, y compris parmi ses propres troupes, lui suggèrent d’inaugurer sagement les chrysanthèmes pour être réélu, sans coup férir, face à Marine Le Pen en . Bien sûr, le chef de l’État s’y est pris comme un manche. Trop convaincu de concentrer la science infuse, il n’a pas mesuré l’extravagante complexité d’une réforme radicale des retraites. Il s’est avancé en caleçon, sans avoir étayé son projet des précisions essentielles à sa transparence. Dans trop de flou, chacun, à tort ou à raison, voit des loups partout. Pourtant, quitte à rabâcher et à paraître rabat-joie, il faudra bien financer, d’une manière ou d’une autre, l’allongement notable de la durée de vie. Les Républicains sont ainsi un poil en porte-à-faux à l’heure de critiquer la réforme, eux qui trouvent au contraire que le gouvernement ne va ni assez vite ni assez loin dans la suppression des régimes spéciaux et l’augmentation de la durée de cotisation. Certes, pour qui a signé il y a quelques années un contrat posant des garanties en regard de contraintes, la pilule est forcément dure à avaler, un rien inique. Néanmoins : s’ils ne sont pas devenus des nantis, les cheminots ne sont plus, ils ne l’ont d’ailleurs jamais été, des parias du monde du travail. Combien d’autres, comme eux, bossent la nuit et le week- end, pour de bien moindres compensations ? Les précaires d’aujourd’hui sont les livreurs qui courent la pièce en risquant leur vie à chaque virage, les ouvriers, les cabossés des carrières à trous et bancales. Sans parler, évidemment, des policiers, des agents de santé, voire des profs, qui ont de solides raisons d’en avoir plein les bottes. La grève jusqu’au-boutiste et prétendue solidaire, le refus obstiné d’un âge pivot aux allures de moindre mal, cachent mal les relents de combats catégoriels d’arrière- garde. Dans le régime actuel déjà, le départ à ans, faute d’annuités suffisantes, relève en effet très souvent du trompe-l’oeil pour beaucoup. « Y a-t-il un seul pays où vous préféreriez vivre plutôt qu’en France ? » , demandait Alain Juppé en . Son échec d’alors ne lui donne pas tort pour autant.
« La grève prétendue solidaire cache mal des relents catégoriels d’arrière-garde. »